Pourquoi on ne va jamais chez le médecin

Pourquoi on en va jamais chez le docteur

Le Petit Prince A Dit, vers 13h : « T’as pas l’air bien… »

Ah ben t’as raison, je ne vais pas bien du tout du tout du tout. Mais j’ai la faculté de dire à chaque fois que je suis au bout du bout de mes limites et de me régénérer telle le Phoenix pour me retrouver fraiche et belle en moins de temps qu’il en faut pour le dire. Bon sauf que là, aujourd’hui, je suis au bout du bout de un-pas-de-plus-et-je-tombe-dans-le-gouffre-abyssal. Et si j’allais consulter mon bon docteur ?

Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous avez été chez le médecin ? Non, pour vous, pas pour l’un de vos enfants, ni pour l’ongle incarné de votre belle-mère… je veux vraiment dire pour vous… Je me fais peut-être des idées mais si vous êtes comme moi, vous y êtes allé pour la même raison que je vais y aller demain : parce que vous étiez au bout du bout du bout.

Pour poser le contexte, j’entame ma troisième semaine de grippe/rhino/rhume, avec une méga rechute depuis hier soir. J’ai du mal à bouger, je ne respire plus, je suis épuisée, j’ai la tête dans un étau. Et comme vous le savez, je gère une maison, un chien, un ado autiste et une toute-petite-mais-tellement-présente fille de quatre ans. Ah oui, et puis accessoirement, j’ai un boulot.

On va oublier la question de savoir comment j’ai fait pour tenir dans cet état pendant 3 semaines : on le sait très bien – les parents d’enfants différents sont dotés de ressources surhumaines.

On va se concentrer plutôt sur le fait que, bon sang de bois, POURQUOI s’infliger cette souffrance, probablement éliminable en cinq jours de traitement avec ou sans antibiotique (même si c’est pas automatique) ?

Le pourquoi, c’est probablement à cause de nos super-pouvoirs. On a un super-pouvoir en particulier : celui de s’oublier complètement, comme si seul notre enfant et ses particularités étaient l’objet de notre attention et de notre vigilance. En dehors de lui, point de salut ! Panne de cerveau ! Plus d’objectivité quant à notre propre corps, plus aucune capacité à ressentir les signaux d’alerte qu’il nous envoie.

Et petite parenthèse : là, je blague, j’ai juste un rhume, mais je connais des mamans comme nous qui en plus ont dû soigner des cancers par exemple, et là, on ne rigole plus du tout. Quand la vie du parent aidant est en jeu… c’est un véritable drame qui se joue. Mais je n’en parlerai pas dans cet article, restons légers pour cette fois.

Bref, nous avons cette faculté extraordinaire de nous oublier, de nous dire : « Non, mais moi, c’est pas grave » . Parce qu’on passe après.

C’est super d’être dévoué, mais avouez : c’est aussi complètement con. Parce que si cette habitude on l’a prise très tôt avec notre enfant, probablement instinctivement bien avant l’annonce du diagnostic, et si des années après cet enfant a largement progressé (et c’est mon cas, mon fils est maintenant un adolechiant comme les autres) et bien nous gardons cette foutue habitude de passer après. Et donc de s’oublier. Et d’attendre le bout du bout du bout d’être à la ramasse totale pour décrocher le téléphone à contre coeur et de demander un rendez-vous avec le médecin/dentiste/gyneco/orl/psy.

Oui, ça marche aussi avec les psys : ça fait des semaines qu’on chiale tous les jours, qu’on arrive à peine à mettre un pied devant l’autre, que parfois on a juste envie de se barrer en courant, de gifler notre gosse ou de se jeter sous un pont mais NON : surtout, on n’appelle pas un psy des fois qu’il pourrait nous aider, parce que … vous allez le trouver tout seul => ON PASSE APRES / nous, c’est pas grave / ça peut attendre.

A notre décharge, on a quand même trois gros handicaps à surmonter qui expliqueraient cette situation :

1. Le traumatisme des salles d’attente : vous avez tous emmené votre gamin avec vous à un rendez-vous et ça a été l’orgie dans la salle d’attente, avec des gens qui vous regardent comme si vous ne saviez pas l’éduquer correctement ou qui dévisagent cet enfant qui crie et bave en même temps tout en grattant le radiateur. Bon et bien oui, ça traumatise un parent, à vie. Et franchement, c’est une excellente raison pour réduire au strict minimum (comprenez : aux séances chez les spécialistes de l’autisme) toute incursion en milieu médical. Qui plus est si vous ne pouvez pas faire autrement que d’emmener votre enfant avec vous.

2. Le manque de temps : qu’on travaille ou pas, quand on est un parent aidant, on a mille choses à faire. Vraiment. Et notre vigilance est poussée à l’extrême avec un enfant autiste qu’on ne peut quitter des yeux. Alors caser dans notre emploi du temps surchargé un rendez-vous pour nous en plus de tous les rendez-vous hebdomadaires, c’est juste surréaliste. On n’a pas le temps. Moi j’ai un gros avantage : je bosse depuis chez moi. Je pourrais m’organiser comme je veux… mais non, moi non plus je ne trouve pas le temps.

Bon, quand j’ai appelé le doc tout à l’heure, j’étais prête à prendre rendez-vous dans la minute, mais pour le coup, c’est lui qui n’avait pas le temps : ce sera demain, 13h.

3. La culpabilité : elle fait des ravages. Elle va de pair avec le fameux Moi, c’est pas grave et le Je passe après. Parce qu’après des années à entendre que ce qu’il faut à notre enfant, c’est une prise en charge adaptée, qu’on se démène pour l’aider, qu’on s’informe, qu’on tente des trucs, qu’on lit des bouquins, qu’on suit à la lettre les méthodes thérapeutiques, et bien inconsciemment on se demande de quel droit on tombe malade. Nous n’avons pas le droit d’être malade, au risque de passer pour des tir-au-flanc, des parents qui se laissent aller, qui prennent du temps pour eux au lieu de s’occuper de leur enfant qui a tant besoin d’eux.  Notre baisse de forme insinue que l’on baisse les bras.

La culpabilité, c’est un truc qui me touche particulièrement. J’ai toujours eu peur qu’on me dise que je ne faisais pas ce qu’il fallait pour Le Petit Prince, parce qu’on me l’a déjà dit justement, et qu’en plus de m’avoir blessé , je me suis sentie coupable. C’est nul, pas vrai ?

Bref, tout ça pour dire : ne faites pas comme moi ; n’attendez pas la Saint Glinglin pour aller vous soigner,  parce que comme je dis toujours :  « Les parents sont le modèle référant pour leurs enfants. Si vous ne prenez pas soin de vous, comment voulez-vous leur apprendre à prendre soin d’eux ? »

Et sur ce, un Fervex. Vivement demain, parce que là, à force de me moucher, je ressemble à Rudolf, le renne du Père Noël, avec son gros nez rouge…

5 réflexions sur “ Pourquoi on ne va jamais chez le médecin ”

  • 03/12/2014 à 18:55
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    mein gott, c’est vrai qu’on fait çà ….

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  • 04/12/2014 à 03:03
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    En 2003 voici ce qu’on m’a appris: si tu es bien dans ta peau tout le monde autour de toi sera bien dans sa peau, si tu es mal dans ta peau tout le monde autour de toi se sentira mal dans sa peau également. Tout commence toujours par soi-même. Nous sommes les modèles des enfants, leur référence. Si je ne suis pas capable de prendre soin de moi, comment voudrais-je prétendre pouvoir prendre soin de quelqu’un d’autre?

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    • 04/12/2014 à 09:32
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      Toujours le mot juste Myriam… oui c’est si évident et pourtant j’ai moi-même besoin de le lire pour le comprendre !

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  • 19/12/2014 à 17:03
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    tt a fais d accord avec myriam meme si je dirais que l on se s ecoute pas toujours !!!!

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