L’imagination des personnes autistes, mythe ou réalité ?

Les autistes, la créativité et l'imagination

Nathalie, autiste asperger que je ne présente plus, parce qu’elle a déjà écrit sur le blog ici et combat les idées reçues sur le manque d’imagination et de créativité des autistes.

Ce matin, euh….non….à 15h en fait. C’est marrant, car pour moi quelle que soit l’heure, si je me suis réveillée il y a peu, le temps commence à partir du moment où je me suis levée…et je « décompte » les heures à partir de ce moment, je ne me vois pas imaginer que les gens puissent se lever plus tôt, enfin si je sais qu’il y en a (les braves!), mais moi, si je n’ai pas un RDV, ou quelque chose à faire de bien concret, si, en plus, je dois récupérer d’une réunion entre humains, ou d’un moment passé à l’extérieur, dans le bruit, autre que moi même avec moi même, il me faut bien au moins une bonne grâce matinée pour sortir du coma, de cette sensation de « gueule de bois ».

Donc, imaginer la vie des gens ordinaires qui ont une vie rythmée au son des « obligations » (pourtant j’en ai aussi) horaires…c’est très difficile….et pourtant, j’ai une « imagination débordante » ! il paraît !

La créativité… ?

Pour moi la créativité c’est quelque chose de relatif à ce que l’on VOIT. Ce qui nous «parle». C’est drôle mais dire qu’une chose nous parle au sens figuré, c’est un concept que je ne trouve pas dans ma langue maternelle. Et ce qui est génial c’est lorsque je peux passer d’un mode de pensée à un autre. Avoir un mode de pensée étendu grâce à deux cultures différentes c’est aussi élargir les modes de pensée et donc la créativité (comme l’humour, je l’ai dit précédemment).

Je peux ne pas avoir d’imagination pour moi même et si je vois un point de départ, une recette, je vais la transformer pour faire la mienne, si je vois un magazine de décoration intérieure, je vais également avoir des idées pour l’adapter à mes besoins, mes moyens et mes goûts à moi….à mon chez moi…mais il me faut un point de départ ! Et que ce point de départ soit visuel !

Or, lorsqu’on me parle, ou lorsque je lis des mots qui peuvent sembler vides de sens à certains, moi, les mots je les imagine en images.

Aussi, ce matin, une amie sur Facebook m’a donnée l’idée de créer une histoire à partir de mots sans aucun lien entre eux à priori, comme ce que j’ai du faire avec des objets posés sur une table devant la psychologue lors de mon passage au Centre Expert pour mon diagnostic final. Sauf que les objets posés sur la table, je les voyais, ils avaient une apparence et elle était prédéfinie par leur forme, leur couleur….j’ai eu eu mal à composer une histoire et c’est finalement la psy qui m’a donné l’idée de départ. Son histoire m’a servi de levier pour la mienne, et heureusement, ma dent creuse sur laquelle je passais ma langue sans arrêt, m’a également bien aidée.

Lorsque la créativité rejoint le cocasse et l’organisation d’une société à travers les clichés des discussions…

Aussi ce matin, lorsque j’ai vu les mots suivants alignés, j’ai eu envie de faire ma maline en les assemblant :

« Mésange, dentiste, jonquille, cuivre, harpe, gilet, géographie, tilleul, domino, tabouret, hareng, la rougeole, le céleri et la groseille »

Et ça a donné ceci :

« Dr Mésange était dentiste, il jouait de la harpe pour détendre ses patients…mais il avait une drôle d’haleine à force de manger du hareng…du coup, les patients avaient beau s’accrocher à son gilet et le supplier de ne pas trop s’approcher d’eux….lui, il persistait et allait pousser le vice jusqu’à jouer des cuivres sur son tabouret….c’est vrai qu’il avait une passion curieuse pour la géographie et croyait que la Rougeole et le céleri étaient des régions de l’Ex Yougoslavie…bon, faut dire que s’il n’arrêtait pas de sniffer de la jonquille….au lieu de boire du tilleul, tout en écoutant Fats Domino….il pourrait consommer de la groseille sans avoir l’impression d’avoir des effets secondaires psychiatriques ! »

J’ai fait comment ?

Le « dentiste » était le point de départ, car c’est un métier et à la fois une personne qu’on peut définir par son métier, ce que font beaucoup de neurotypiques, comme association, d’ailleurs souvent la première question qu’ils posent lorsqu’ils vous rencontrent c’est « que fais tu dans la vie ? » Comme si c’était la seule façon de se définir. J’ai d’ailleurs beaucoup de mal à me définir….c’est une question qui me met mal à l’aise, non pas parce que je ne fais « rien » (pour eux), ni parce qu’être mère au foyer est une honte sociale qu’on préfère cacher, non, j’ai même pas du tout honte de l’être….c’est même très honorable pour moi. Mais j’ai du mal à me définir parce que je fais beaucoup de choses et parfois je ne fais RIEN de particulier. Enfin, lorsque je dis que je ne fais rien de particulier, c’est faux, mais pour moi c’est pas quelque chose d’exceptionnel, donc pour moi c’est rien. Parce qu’en plus j’ai pas envie de me perdre en descriptions vu que la plupart des gens se désintéressent finalement de ce que vous faites si vous ne travaillez pas, vous ne faites rien pour la plupart.

Voilà pourquoi le dentiste était le point de départ de mon histoire. Le fait que « Mésange » était situé tout près et que je ne voyais pas comment l’utiliser à d’autres fins, c’était très bien de l’utiliser comme nom de famille, un nom de famille ça ne sert à rien à part vous définir dans une société en tant que personne qu’on ne peut pas confondre avec une autre. Si vous avez une appartenance à une Histoire et une famille qui a compté historiquement, alors ça peut donner une autre indication sur vous et ce que vous seriez probablement….Mais sinon, Monsieur Machin ou Monsieur Bidule, c’est kiffe kiffe (à part sur l’origine du nom, « ah oui, il est bien français de souche ! » diraient certains, et d’autres, se ficheraient de savoir s’il l’est ou pas…sauf s’ils voient un monsieur basané avec le nom de Monsieur Mésange, là ils seraient un peu surpris et poseraient la question….j’ai déjà vu ça…ça m’a toujours surprise ces questions, je les trouvais limite grossières!)…

Si vous n’aimez pas le hareng, vous devez sans doute savoir d’autant plus que vous aurez une haleine fétide après en avoir mangé. Surtout si le midi, on a du mal à pouvoir se brosser les dents, si en plus on boit du café et du vin rouge, c’est le clou et le comble du mauvais goût d’associations d’odeurs…après ça, ne venez même pas me parler de loin, je sens les odeurs et ça m’est vraiment insupportable de me retrouver face à une personne qui a consommé de tels aliments sans prendre la peine de se rincer la bouche ou manger un cheming gum à la menthe pour en atténuer ou masquer l’odeur. Donc, si je devais subir la combinaison de la mauvaise haleine d’un dentiste et sentir en plus les odeurs nauséabondes des produits utilisés dans son Cabinet, il est probable que je doive m’accrocher à n’importe quoi qui m’empêche de tomber ou de me sauver.

Les instruments de musique peuvent en effet vous servir d’anesthésiant si c’est joué de manière barbante, on peut imaginer qu’un dentiste qui n’a pas forcément le temps de s’adonner à sa passion puisse jouer des instruments avec un amateurisme qui ne va pas lui donner l’idée (en principe, à moins qu’il ait un talent incroyable) de changer de métier et de jouer des percutions ou de la harpe de manière professionnelle…en général, les neurotypiques estiment que lorsqu’on a un métier comme dentiste, avocat, ou scientifique, on doit passer toute sa vie à faire ce métier ! (ne serait ce que parce que pour poursuivre de telles études qui ont menées à ce métier c’était très long, un investissement coûteux et qu’il faut amortir un tel investissement! Et puis pour eux c’est aussi un signe d’instabilité que de changer de métiers !)… bon, heureusement, y a des gens qui se sont orientés vers un métier et après changent…mais ceux là souvent ils sont perçus comme « fous » ! On ne fait pas une chose pareille sauf si on a atteint la crise de la quarantaine ou la cinquantaine et qu’on se réveille un matin en se disant qu’on va changer radicalement de vie ! D’ailleurs souvent ça commence par faire un régime, changer de voiture pour prendre une voiture de sport, et peut être même changer de femme. Hum (situations déjà vues, c’est pour ça que je me permets d’en parler).

 Alors, l’imagination, finalement… ?

Oui, mais construite à partir d’éléments sociaux, culturels, ce qu’on imagine dans une situation ordinaire avec des gens ordinaires, des gens qui vous parlent en utilisant toujours les mêmes stéréotypes (décidément, on va croire les neurotypiques plus autistes que nous à la fin!)….s’accrochent à des clichés….le « vous faites quoi dans la vie ? Votre nom de famille ? Votre origine socio-éthnique ? Vos loisirs si vous en avez…. » de bien « drôles » intérêts particuliers !

Et comme je suis nulle en géographie et que je serais tout aussi capable de vous situer St Etienne en Suisse comme en Bretagne…bref, utiliser des mots qui m’encombraient l’esprit, je ne voyais pas quoi en faire sans rendre l’histoire trop lourde….je la voulais cocasse, car j’aime le cocasse….c’est dit.

J’imagine souvent des situations totalement ridicules à partir d’une situation sérieuse, car j’aime pas ce qui est trop sérieux, enfin, je n’aime pas ME prendre au sérieux !

Donc, vous avez la base de mon histoire….

Donc, une imagination organisée, oui, une imagination qui observe son entourage (ça change du cliché que les autistes vivent dans leur bulle), qui observe la façon d’être des gens, tout ce qui peut m’indiquer à qui j’ai affaire.

Pour moi un dentiste est forcément quelqu’un de très ennuyeux, qui aime les odeurs fortes (faut vraiment aimer les produits utilisés qui sentent à des kilomètres à la ronde!) et qui va chercher à fidéliser le client….bon faut dire que j’ai pas eu à chance de tomber sur des dentistes comme ceux là…donc, en prenant le contre-pied et en faisant de cet homme ennuyeux, rigide, à des goûts odorants mauvais (selon mes critères bien sûr, vous avez le droit d’aimer leurs odeurs)…vous imaginez donc que j’ai voulu faire tout l’inverse de lui.

Le fait que le tilleul soit une boisson vraiment pas exotique, utilisée à des fins sédatives, que peut on imaginer d’une personne qui vous conseille d’en consommer si ce n’est de se calmer, parce qu’on aurait des attitudes sociales inadaptées…se coucher tard, par exemple…c’est très inadapté pour cette société. Oui, ils le disent « l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ! » Ouais….bof. S’ils savaient….mais bon, je ne suis pas là pour critiquer les gens et leur horloge biologique….chacun fait et pense comme il veut.

J’ai d’ailleurs lu que lire des romans avait une belle incidence sur notre cerveau…les personnes qui lisent des romans sont plus imaginatifs que ceux qui n’en lisent pas ! La preuve, j’ai parlé de ça au psychiatre du Centre Expert et il semblerait qu’il n’était pas au courant de cette étude….il ne doit pas lire beaucoup de romans !

Alors, avant de balancer de gros clichés sur les personnes autistes, pensez aux intérêts qu’ont ces personnes. Moi, ce sont les comportements (surtout humains) et la créativité (culinaire, littéraire, décorative)…je suis une créative oui et je n’ai pas honte de le dire ! Je suis une autiste asperger originale, je sors des clichés et si j’ai malgré tout été diagnostiquée comme telle c’est que si j’ai beaucoup compensé par ces aspects là ma vie, je n’en suis pas moins « sauvage » dans ma vie sociale, je suis peu mondaine, je mets beaucoup de temps à récupérer d’un moment avec les autres….et ça va d’ailleurs donner suite à un prochain article….

Les intérêts jouent sur le profil autistique. Vous savez sans doute que le cerveau a une plasticité, il ne reste pas figé. On peut évoluer et plus on lit de littérature, plus on regarde des choses qui titillent notre imaginaire, nous fait nous rappeler des situations vécues….Plus on progresse !

Et les autistes qui comme Temple Grandin « voient en images », c’est mon cas également, visualisent les expressions populaires et les scénarisent dans leur esprit, visualisent les objets en entendant la sonorité de leur nom…peuvent visualiser une construction à partir d’une pensée….et avoir ainsi le sens pratique…ces personnes ont un sens de l’imagination et comme pour l’humour, l’imagination est propre à soi et à son expérience, de sa vie….

Paraître fantaisiste est vu parfois à double tranchant. Si vous êtes dans un cadre ordinaire, ça peut être une qualité, sauf si vous êtes en rivalité (sans le vouloir surtout) avec une personne qui veut vous casser sur vos qualités.

Mais si vous êtes asperger (vous vous annoncez comme tel/le)….là, toutes vos belles qualités seront vues comme une somme de défauts terribles, voire pire, si vous avez des facultés d’adaptation et d’évolution hors normes, alors, vous êtes une simulatrice ! Donc faites attention à ne pas donner trop envie aux compétiteurs/compétitrices….continuez à raser les murs si vous les croisez, et assurez vous de beaucoup de sympathie de gens qui, eux, sauront vous apprécier et qui sauront « défendre » et valoriser votre raison d’être.

Vous pouvez être autiste et avoir de l’imagination ! Tout le monde en a à sa mesure, comme l’humour. Sauf que tout le monde n’a pas forcément confiance, ou pas d’intérêt pour la créativité. Le fait que vous appréciez même l’imagination des autres prouve que vous avez du goût pour l’imagination. Sinon vous y seriez indifférent ou hostile.

Mais par pitié, s’il vous plaît, cessez de faire des qualités des personnes autistes, des défauts…. ! Valorisez les, encouragez les dans ce qu’ils aiment faire, même si vous pensez que ça ne les mènera « nulle part », on va forcément quelque part à partir de là où on se trouve. Si vos intérêts sont divergents de ceux d’une personne autiste, qu’il soit votre enfant, votre frère, votre cousin, votre ami…etc. Ce n’est pas pour cette raison qu’ils valent moins que les vôtres ! Pour lui, ils sont précieux !

Intéressez vous à ce qui l’intéresse….si vous voulez qu’il s’intéresse à vous, intéressez vous à lui aussi…créez une complicité avec lui au lieu de le sermonner sans arrêt.

L’imagination se créé aussi dans la complicité qu’on a….avec ma fille, parfois on part sur des « délires » à nous…on imagine des mouettes moqueuses, des pigeons qui viennent jouer à la poupée, des brocolis et des choux-fleurs qui pleurent et parlent en disant que c’est pas juste qu’ils ne sont pas aimés (de ma fille), etc. Si vous pouvez concevoir que les objets ne sont pas juste des objets et qu’ils peuvent servir à des fins publicitaires, ou même politiques (les psychanalystes utilisent bien le phallus à toutes fins inutiles…pourquoi les choux-fleurs ne pourraient pas rire ou s’indigner?!)…ce n’est pas être schizophrène que de rire des choses les plus simples….c’est de ne pas savoir en rire qui mène à la folie….la folie de l’individu ordinaire, suffisant et péniblement ennuyeux !

Une réflexion sur “ L’imagination des personnes autistes, mythe ou réalité ? ”

  • 19/07/2014 à 08:48
    Permalink

    C’est en pensant à un enfant que je rencontre régulièrement ds ma profession que j’ai cherché  » le petit prince  » sur google , et suis tombé sur votre site . on a beaucoup a apprendre les uns des autres , on est tous ds notre bulle .
    En tous cas moi j’apprends beaucoup de mes rencontres avec tous ces enfants un peu différents . Parfois on est tous les deux dans le brouillard et puis au fur et à mesure des éclaircies , des petits complicités apparaissent..Alors là c’est magique , j’ai parfois la chair de poule tellement je suis émue quand ça arrive et je me dis tout ça a un sens .
    On ne voit bien qu’avec les yeux de l’amour …
    Bernadet .

    Réponse

Laisser un commentaire