Une journée avec une maman d’enfant autiste

Journée avec une maman d'enfant autiste

J’ai souvent eu l’impression de mener une vie de dingue, en marge, pas comme les autres. Probablement parce que j’ai fait un enfant avant mes amis, et que j’étais la seule maman du lot. Mais pas que. Ce que je vais vous raconter est arrivé à différents moments dans ma vie avec Le Petit Prince, mais mis bout à bout, ça peut donner une idée assez juste de ce qu’a pu être  mon emploi du temps sur une journée avec cet enfant qui m’a demandé beaucoup. Aujourd’hui, c’est plus facile, mais toujours chronophage. A mon avis, beaucoup d’entre vous se reconnaitront…

7h : je me lève, j’enfile des fringues préparées la veille, brossage de dents, joli maquillage, je mets 15 minutes chrono pour être opérationnelle et filer à la cuisine préparer un thé et des céréales, que j’avale sans y penser. Je prépare un biberon de lait, j’allume la télé et met les Teletubbies.

7h30  : je rentre dans la chambre du Petit Prince, caresse un bras, une jambe, un dos pour le réveiller doucement. Il a les yeux encore collés et se pelotonne dans mes bras tandis que je l’emmène dans le salon. J’attrape le bib d’une main, m’assois dans le canapé, et le Petit Prince se cale sur moi, comme si je n’étais qu’un fauteuil, ses cheveux dans mon visage. Je crois qu’il aime sentir mon souffle sur sa tête. Il est absorbé par les Teletubbies, je le tiens fort contre moi, il s’agrippe à ma main, et nous passons un long moment au calme. Le petit déjeuner, c’est notre moment à nous.

7h50 : j’ai laissé le Petit Prince sur le canapé, et c’est le moment de l’habiller. La veille, j’ai aussi préparé ses affaires en même temps que les miennes, pour ne pas perdre de temps, car l’habiller, c’est toute une histoire : il n’aime pas ça. Je ne parle pas, je fais des gestes lents et doux, il continue de regarder les Teletubbies pendant que mine de rien je lui retire son pyjama et lui enfile ses beaux vêtements. Le Petit Prince est toujours bien habillé, j’y tiens beaucoup.

8h10 : il faut partir à l’école. On met les chaussures et le manteau, il ressemble vraiment au Petit Prince… Pendant le trajet en voiture, il me cite toutes les marques des véhicules que nous croisons : Volkswagen, Renault, Peugeot, et puis les modèles aussi : Scenic, Touran, Polo ou Golf. Il dit : « Comme Mamie » chaque fois qu’on croise une Golf. Moi je m’en fous des voitures, mais je l’encourage ; il parle, c’est déjà ça.

8h20 : je me gare complètement à l’arrache sur un bout de trottoir à 20 m de l’entrée de l’école. 20 mètres, c’est beaucoup trop. Le Petit Prince commence : « Veux pas l’école !  » et je lui tiens fermement sa petite main pour qu’il me suive. Il s’énerve, et se jette sur le sol, avec ses beaux habits tout propres ! Il hurle et je n’arrive pas à le calmer, alors je sors le grand jeu : je l’attrape et le porte comme un bébé en le serrant fort contre moi, et les 15 mètres qui restent à parcourir sont un enfer car j’ai l’impression de transporter un chat sauvage dans les bras, qui miaule, siffle et griffe.

8h25 : j’arrive devant la porte, une ATSEM, bien rodée prend Le Petit Prince dans ses bras et me demande gentiment de partir, car apparemment, quand il ne me voit plus, il se calme. Je retourne à la voiture en retenant mes larmes, j’arrache un n-ième PV du pare-brise, je pleure un bon coup sur mon volant , fous la musique à fond et pars pour une demi-journée de travail.

9h00 -13h00 : je fais mon boulot comme si de rien n’était, je suis une super warrior, une collègue trop sympa qui faire rire tout le monde. Un clown triste, quoi. Je suis à mi-temps, j’ai un travail pas terrible, je gagne le SMIC mais à mi-temps, autant vous dire que ça fait pas des masses. J’ai eu de la chance d’être recrutée, parce que que les employeurs prennent peur en regardant mon CV, car je suis sur-qualifiée. J’ai fait une croix sur ma carrière, oublié mon diplôme. Le plus important, c’était d’avoir du temps pour Le Petit Prince, alors j’ai un job alimentaire.

13h30 : je fais les courses, après le travail, car le Petit Prince ne supporte pas les supermarchés. Le bruit et les lumières, ça le dérange. Quand il voit des ballons, il répète « Ballons !  » sans arrêt. Et puis des fois sur le chemin il y a des travaux et le bruit lui fait peur. Alors il prend ma main dans la sienne et la pose sur sa tête, comme pour encore mieux me sentir avec lui.

14h30-15h30 : la paperasse, les factures, je fais les comptes, je suis presque dans le rouge, mais pas encore. Je voulais acheter une galette des rois au Petit Prince à la boulangerie, mais c’est trop cher… j’hésite entre la galette et les tours de manège au parc, dimanche prochain, et je prends une décision : on n’ira pas au parc dimanche, pas à celui où il y a le manège, parce que de toute façon, à chaque fois, il fait y fait une crise. Et puis il n’a toujours pas compris que pour avoir des tours gratuits, il fallait attraper le pompon. On ira acheter une galette après l’école, ce sera chouette.

16h00 : je suis devant l’école, la boule au ventre. Je vois par la fenêtre mon beau blond descendre l’escalier et me regarder. J’ai compris qu’il avait eu une dure journée. Mais je suis là, maman est là. On fait un câlin, je le porte dans mes bras jusqu’à la voiture et j’ai le dos en compote.

16h20 : on arrive dans le parking de la maison et le Petit Prince s’agite, il est en colère. Il se met à crier, pendant que je le descends de son siège auto, et à peine les pieds au sol, il se contorsionne violemment et c’est la catastrophe : dans un mouvement brusque, il s’est jeté la tête sur le coin de la portière. Le choc est si violent qu’il ne peut plus respirer et je vois une fente au milieu de son front se former en même temps qu’une énorme bosse. Je remonte en 4ème vitesse à l’appart, mon fils sous le bras, le badigeonne d’Arnica, de glace pour éviter que ça ne gonfle trop, le balance dans mes bras pour le calmer.  Il pleure de douleur, mais heureusement, ce n’est pas une plaie ouverte.

17h00 : Je nous mets dans le canapé, avec le dessin animé Cars qu’il aime tant. Il commence à se calmer, sa bosse au front est énorme, avec la marque du coin de la portière bien au milieu, au-dessus du nez. Demain on est vendredi, alors j’appelle l’école et mon job pour prévenir que demain je vais garder Le Petit Prince à la maison. Mon employeur me culpabilise, me demandant un arrêt de travail. Je lui retourne que je prendrai sur mes congés payés.

18h00 : je propose au Petit Prince de lui faire prendre un bain, parce que je me dis que ça peut le détendre. Pas de réponse. Moi, j’ai besoin de prendre un bain, une douche, de faire un tour dehors mais je ne peux pas laisser le Petit Prince sans surveillance, ne serait-ce qu’une minute, je laisse même la porte ouverte quand je vais aux toilettes. Pour m’occuper, je prépare nos habits pour demain, et fais couler un bain.

18h15 : je déshabille le Petit Prince dans le salon, puis l’emmène doucement dans la salle de bain. Je lui demande s’il veut de la mousse, il hoche la tête. Je lui en mets un peu, mais pas trop sinon ça lui fait peur. Le Petit Prince aime l’eau, c’est un vrai poisson. Je ne peux pas remettre de l’eau chaude quand le bain tiédit car il n’aime pas. Je joue avec lui, du moins j’essaie, en faisant marcher des petits canards ou des jouets pour le bain. Le Petit Prince préfère battre des bras et des jambes, il ne s’intéresse pas à mes jeux.

18H45 : Le Petit Prince est séché, j’ai acheté un sèche-cheveux silencieux exprès pour lui. Je lui mets son pyjama et ces chaussons, il a du mal à remonter la fermeture éclair.

19h00 : je prépare le dîner du Petit Prince. Je cuisine des Monsieur Rouge ou des Madame Oeuf pour qu’il daigne s’intéresser à la nourriture : les cheveux en carotte rapée, une tranche de jambon pour le visage, deux tomates cerises coupées en deux pour faire les yeux, la bouche en ketchup, une barbe en purée… préparer ses repas me prend un temps fou, et Le Petit Prince, lui, s’en moque éperdument. Le Kiri est posé sur la table, la banane aussi, à leur place. On a toujours les même couverts et le même verre. Le Petit Prince mange tout seul, et il mange de tout. Quand il le veut bien. Quand la banane se casse en deux, il se met en colère et je dois lui en donner une autre, sinon ce n’est même pas la peine.

20H00 : je suis épuisée. Je décide de mettre Le Petit Prince au lit, pour qu’il se repose après cette dure journée. Demain on ira chercher la galette. J’espère que sa bosse aura dégonflé. Le Petit Prince n’aime pas que je lui lise des histoires, ça ne l’intéresse pas, d’ailleurs je crois qu’il ne les comprend pas. J’ai essayé, mais il ne m’écoute pas. Alors je lui fais un gros câlin, lui caresse les cheveux en lui chantant une berceuse. Il me regarde avec ses grands yeux gris. C’est pas parce qu’il parle peu qu’il n’a rien à dire et son silence est étouffant. Je laisse une veilleuse, la porte de la chambre entr’ouverte et la lumière du couloir allumée.

20h30 : je finis les restes du repas du Petit Prince, vais dans le salon et allume la musique… et je danse. Je danse à en perdre haleine, je danse en sortant mes tripes, je danse pour oublier cette vie, m’en fabriquer une autre, inventer un avenir radieux.

21h30 : je fais le ménage. Mon intérieur est nickel. Au moins j’ai le contrôle sur ça.

22:00 : je prends ma douche, très vite fait, au cas où Le Petit Prince se réveillerait, et je me glisse dans mon lit. J’attrape un bouquin, un Christian Jacq, et je m’évade en Egypte. Demain sera un autre jour. Il faudra amener Le Petit Prince chez la psychomotricienne et après à une séance d’orthophonie. Je me taperai des heures d’embouteillage avec le stress de ne pas arriver à l’heure, pendant que derrière Le Petit Prince parlera en boucle des voitures, me posera 12 fois la même question qui n’aura aucun sens. Demain on recommencera.

7 réflexions sur “ Une journée avec une maman d’enfant autiste ”

  • 10/10/2014 à 13:15
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    Bravo pour cet épisode de votre vie. Maintenant, votre horaire a probablement changé, étant donné qu’il a grandit….

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  • 10/10/2014 à 16:18
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    Mais où est ce que j’ai déjà entendu cette histoire…..??? Ah oui chez moi ! hihihi en effet, avec Océane, ma chipie, reine de la bêtise (et le chat, pareil, j’avais 2 enfants terribles à m’occuper ! Mais mon chat est mort depuis, ça nous rend bien triste, on se sent comme si on avait perdu un enfant de 18 ans…mais qui serait resté bébé). Oui, Océane non plus n’aimait pas l’école et détestait ça. Elle ne disait rien en plus, du coup, pendant 3 ans et demi j’ai du la déscolariser car y avait rien d’adapté. Et la CLIS, mon dieu la CLIS massacre ! Mais bon….ça c’est un autre sujet.

    Pour dire quoi à la fin ? Ah oui, la journée de dingue, oui, tu as de la chance de pouvoir glisser un travail, j’avais même pas cette possibilité là, bien que moi aussi j’avais des qualifications et j’aurais pu avoir un bon salaire….mais bon, pas possible, ça été la descente aux enfers et le RMI(RSA maintenant) et son allocation pour enfant handicapé que je dois maintenant me battre pour pas qu’ils la remontent car même si j’ai eu du mal à obtenir le plus haut complément, maintenant ils estiment qu’elle a progressé….ben voyons ! Et pour quoi ? Pour me la coller en institution ? J’aurais fait tous ces sacrifices pour rien alors ? Si si….voilà, tu rajoutes à ta journée les paperasses (mais tu les as aussi ces journées paperasse sans fin….on a besoin d’au moins une semaine pour s’en remettre, l’impression d’être un légume marin qui ne parle que pour faire des imitations de poisson….mais rien ne sort….heureusement, y a le clavier….)

    Ben on peut parfois avoir des variantes dans une journée, c’est sûr, on en a….mais pareil que toi, le manège, la contorsion de pas vouloir aller à l’école, me faisait même des croche pieds ou me crachait dessus comme ses « petits camarades » lui faisaient. J’avais la totale. J’ai décidé après 2 mois et demi de torture de la déscolariser….et finalement…elle a progressé. Tout le monde me l’a dit, j’ai même reçu les félicitations du Recteur de l’académie en 1ère réunion CCPE ou un truc comme ça…maintenant y en a plus je crois. Cette grande brochette avec des gens qui s’en fichent mais qui s’étonnent de voir un enfant comme le nôtre être capable de faire des choses…..un peu comme s’extasier devant les miracles de Jésus qui dit « Lève toi et marche »….. « Ooooooh il marche ! »

    Parfois on se demande qui est le plus compétent d’eux ou de nous….non je ne me demande pas, je le sais déjà….mais ça fait prétentieux si je le dis. Hum….

    Bon ben moi c’était ma journée ortho + courses. Demain petite fête improvisée avec une copine et son fils pour l’anniv de ma chipie….17 ans déjà….pffffffouuuuu….ce petit bout qui se collait à moi oui et ne voulait que je l’embrasse que sur le haut de la tête….pareil, qui n’écoutait pas mes histoires, mais aimait le son de ma voix….et parfois il m’arrivait d’avoir le hoquet et là, d’un coup, je vois ma chipie impassible se mettre à rire aux éclats.

    Et là, ma chipie qui avait envie de faire ses bêtises tranquilou ou de regarder les films avec moi sur le canapé (le vieux films de Hitchkock)….et de manger chinois. ça elle aimait ! Et quand elle venait avec moi choisir le menu chez le traiteur….et connait son petit nez à la vitre pour la lécher….le monsieur ne disait jamais rien et un jour, alors qu’on ne s’y attendait pas, elle toujours si silencieuse, si filouteuse, elle me sort « ça fait longtemps qu’on ne s’est pas tapé un chinois j’ai très faim ! » et le chinois explosé de rire et moi avec qui suit…

    D’ailleurs, ses premiers mots ont été « putain il pleut » et non pas « papa ou maman ». Oui, ma fille et son langage fleuri….

    Bon aller, je vais regarder pour la énième fois ma saga Twilight….j’ai mangé mes pain au chocolat sans gluten et il me reste à boire mon café avec mon lait de soja à la vanille. J’ai remarqué que celui non bio était plus velouté que le bio que je trouve barboté. Hum….

    Quand on est une maman autiste d’un enfant autiste….on a ces petites bizarreries qui se rajoutent à celles de nos enfants….et quand on est une maman qui n’aime pas faire les courses et qui doit mettre son casque arceau sur les oreilles et ses lunettes de soleil et que je me mets à chantonner pendant que je déambule dans les rayons…mais marrant, moi aussi je danse chez moi parfois pour me déstresser et me défouler….j’en ai besoin.

    Super ton article, j’ai eu une petite vague nostalgique de me rappeler mon petit bout’chou qui a grandie.

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  • 10/10/2014 à 16:44
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    je suppose que dans toutes les familles de petit prince la forme varie un peu mais le fond, c’est exactement çà, en tous cas en ce qui nous concerne mon petit prince et moi …

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  • 10/10/2014 à 18:14
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    Tout à fait ça, à croire que c’est moi qui ait écrit ces lignes

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  • 06/11/2014 à 11:50
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    eh oui une journee bien rempli tt en rajoutant mon travail a coté !! mais je dois dire que depuis 3 ans , mon garcon est devenu beaucoup plus autonome et ca me soulage ouffffff .

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  • 25/11/2014 à 11:17
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    Bonjour, en effet c’est pas simple moi j’ai 3 enfants une filke de 7 ans un garçon de 5 ans et ma dernière qui est autiste a 3 ans elle est a l ecole le mardi jeudi et vendredi uniquement le matin le lundi cmp le matin orthophoniste l après midi mercredi matin cmp vendredi aprem orthophoniste jeudi aprem psychomotricienne et un dimanche sur 2 equitherapie et je récupère mes enfants tous les midis pour les faire manger plus les devoirs les douches les repas etc.. Je ne peux pas du tout travailler je me retrouve seule le mardi jeudi et vendredi matin pour les courses et le ménage pas 1 minute de détente et c’est comme ça toute l’année ou presque heureusement il ya les vacances mais pas de tout repos non plus … On apprend à garder le rythme pas toujours évident surtout lorsque tous le monde est malade a la maison gerer les Rdv le planning les tracas les bobos le médecin etc.. Mais je n échangerai pas ma vie qui est pleine de rebondissement après tout si tout était simple ce serai pas réel …

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