Interview : Abby, 23 ans, soeur de Caleb, autiste

Abby, soeur de CAaeb autiste

Je m’appelle Abby Norman, j’ai 23 ans. Je suis écrivain et défenseur des malades. Mon jeune frère, Caleb, est atteint d’autisme.

Découvrez le point de vue d’une sœur d’autiste, avec ses mots emplis d’amour malgré les difficultés.  Abby est américaine, cette interview a été traduite par mes soins et le texte original de nos échanges est en fin d’article.


Abby, quand as-tu remarqué que ton frère était différent ?

Quand il était encore un bébé, il se comportait comme s’il ne pouvait pas entendre. On essayait de tester son audition en tapant sur des casseroles pour faire du bruit mais il ne réagissait pas, comme s’il n’entendait rien. Il a passé un test d’audition qui a démontré qu’il n’avait aucun problème à ce niveau là, alors on a compris que ça ne pouvait pas venir du fait qu’il soit sourd. Il a toujours choisi de jouer tout seul, même quand il était bébé, et à deux ou trois ans, il n’aimait pas les câlins ou les bisous comme les autres enfants. En plus, quand il est né, il ne savait pas du tout téter – donc il a eu des problèmes dès le début.

Est-ce que ça a changé quelque chose dans ton comportement à son égard?

J’ai toujours essayé de traiter Caleb comme n’importe quel autre enfant. Parfois, c’était très difficile parce qu’il avait souvent des accès de colère et parfois c’était gênant pour moi à l’école. Je l’aimais vraiment beaucoup, tout le temps, et je voulais qu’il le sache. J’étais l’une des seules personnes dans sa vie qui lui parlait comme s’il était normal. J’aime à penser que peut-être c’est ce qui finalement l’a amené vers un « haut niveau de fonctionnement » et qu’il peut  parler très bien maintenant. Certains enfants autistes ne parlent pas du tout, alors j’ai eu de la chance que Caleb parle beaucoup finalement ! Je pense qu’en tant que grande sœur, j’ai toujours essayé de faire attention à lui, spécialement quand les enfants l’embêtaient à l’école. Je me souviens d’avoir frappé un garçon dans la cour d’école quand j’étais en primaire parce qu’il avait dit que mon frère était stupide. Il n’a plus jamais dit ça, après !

Est-ce que l’autisme de ton frère a affecté ta vie ?

Je pense que la plus grande façon dont cela m’a touché, c’est que je ne veux pas avoir moi-même un enfant. J’ai eu une expérience si intense avec mon frère que j’ai l’impression que c’est comme si j’avais déjà « élevé un enfant », même si je n’ai pas moi-même porté un enfant. Je sais aussi que l’Autisme a probablement une origine génétique, et je crains d’avoir un enfant autiste à mon tour. J’ai vu combien c’était dur pour tout le monde dans ma vie, surtout pour Caleb. Je ne suis pas sûre de pouvoir revivre ça encore. En revanche, je pense que cela m’a affecté de manière positive en me rendant incroyablement patiente. Quand j’enseignais le théâtre à des enfants à l’école, leurs parents voulaient tout le temps savoir comment je faisais pour rester à ce point patiente : je pense que c’est ce que mon frère m’a appris cela.

 Est-ce que ça a été difficile ou non pour toi de parler de ton frère, ou le présenter à tes amis quand tu étais ado, et comment c’est maintenant?

Quand j’étais enfant, c’était vraiment difficile de le présenter à de nouvelles personnes. Très souvent je n’invitais pas d’amis à la maison parce que ça serait trop dur pour lui. Je parlais beaucoup de lui, parce que je l’aimais, mais quand j’étais au collège, beaucoup de mes amis ne l’avaient encore jamais rencontré. Mais comme nous avons grandi tous les deux et étions dans le même lycée, on se voyait beaucoup entre les cours et il disait bonjour. Mes amis lui rendaient alors son bonjour.
Maintenant c’est plus facile pour lui de rencontrer des gens. Souvent, ça ne l’intéresse pas d’avoir de longues conversations, mais il adore parler des courses de voitures, ce qui est probablement ce qu’il préfère. On lui a appris les bonnes manières quand il est devenu adulte et je pense qu’il gère très bien les  situations sociales.

A la maison, avec tes parents, as-tu réussi à trouver ta place ou ton frère prenait « trop de place » justement ?

Je pense que c’était nécessaire qu’il prenne toute cette place  parce qu’il avait tant de besoins que je n’avais pas moi-même – plus d’attention, plus de règles, plus de temps avec mes parents. Je ne me suis jamais sentie en colère ou triste que Caleb passe plus de temps avec mes parents parce que je savais que ça l’aidait à apprendre et à être heureux dans ce monde.
Je pense qu’il y avait beaucoup de choses qui étaient difficiles pour moi parce que j’avais vraiment une relation différente avec mes parents. Je suis finalement partie vivre avec ma grand-mère mais elle ne me traitait pas bien, ce qui est certainement ce qui m’a fait comprendre que je devais être toute seule. Quand j’ai été émancipée (aux Etats-Unis, c’est devenir son propre tuteur avant l’âge légal de 18 ans), je savais que je devais garder Caleb en dehors de ça, parce qu’il n’aurait jamais survécu sans vivre à la maison avec mes parents. Il étaient bons pour lui. J’étais plus difficile, dans un sens, parce que mon frère ne voulait pas de câlins et de bisous et moi si. Et mes parents ne sont pas très forts pour montrer leur sentiments.

Comment as-tu réussi à t’épanouir ?

J’ai eu beaucoup de soutien de la part de mes professeurs à l’école. Ils étaient très particuliers et pensaient que si j’avais de bonnes notes en classe c’était parce que j’étais surdouée. Donc ils m’ont aidée à avoir confiance en moi. J’avais aussi de très bons amis et on passait de supers bons moments quand nous étions jeunes. Ces deux choses m’ont aidées à avoir un bon sens de l’humour et à rester concentrée sur mes études. J’adore l’école et lire, alors je pense que de vouloir apprendre m’a aidé à devenir qui je suis maintenant.

Quelle relation as-tu avec Caleb ?

Aujourd’hui, je partage sa »garde » avec mes parents. Et quand ils seront décédés, je serai son tuteur légal. Alors, je le vois aussi souvent que je le peux. Il aime jouer aux jeux vidéos et parler de courses de voiture, il est incollable là-dessus. Il aime aller dans les librairies – il adore lire, surtout la B.D. Gardfield. C’est un génie des maths et il adore résoudre des problèmes de maths, alors j’aime bien lui trouver des livre d’exercice avec des problèmes dedans. Je vis plus loin de lui qu’avant quand nous étions à l’école, alors je ne le vois pas aussi souvent que je le voudrais. Mais je suis vraiment très fière de lui. Il m’a envoyé une superbe carte pour mon anniversaire que j’ai posée sur ma cheminée juste à côté d’une photo de nous deux.

Peux-tu nous dire comment va Caleb aujourd’hui ?

Il va bien ! Il vit toujours chez mes parents. Il aide dehors parfois, du moment que quelqu’un garde un œil sur lui pour sa sécurité. Il aime faire du bénévolat à la bibliothèque de l’école et est un aide-enseignant dans une classe de journalisme sportif du lycée. J’espère qu’un jour il aura un travail et gagnera de l’argent, bien qu’il ait de l’argent du gouvernement parce qu’il est considéré comme « handicapé », mais ça ne fait pas beaucoup. Mes parents n’ont pas beaucoup d’argent parce que ma mère souffre d’une maladie chronique et ne travaille pas, donc j’espère qu’un jour il pourra travailler dans l’informatique ou quelque chose dans le genre et gagner un petit peu d’argent. Je suis très fière de tout ce qu’il a accompli.

Et dernière question, Abby : si tu avais un conseil à donner à une sœur, un frère ou des parents d’un autiste, que lui/leur dirais-tu?

Il faut pratiquer la patience et comprendre que le monde est parfois très dur pour votre frère, sœur ou enfant. Faites de votre mieux pour comprendre ce qu’il/elle aime et partager cela avec lui/elle. Ne soyez pas honteux ou gênés par lui/elle. Il est merveilleux et affectueux et vous enseignera tant de choses ! Soyez prêt à apprendre de lui/elle et à le/la protéger aussi.

Voilà, cette interview est terminée ! Merci beaucoup Abby, tu apportes ici un autre regard sur l’autisme en tant que sœur, et c’est très touchant de voir comment ça c’est passé pour toi « de l’intérieur ». Et comme je te l’ai dis, c’est grâce à mon enfant extra-ordinaire que je peux aujourd’hui rencontrer des personnes comme toi. Merci de tout cœur !

Pour la petit histoire j’ai contacté Abby après avoir lui son bouleversant témoignage au sujet de Caleb.

Abby et Caleb
La photo préférée d’Abby, avec son frère Caleb, quand ils étaient enfants

 

Et maintenant voici l’interview originale en anglais :

 

First, can you introduce yourself in a few words ? (name, age, job, and your link with autism (your brother I suppose)

I’m Abby Norman. I am 23 years old. I am a writer and a patient advocate. My younger brother, Caleb, has Autism.

When did you notice that your brother was different ?
When he was still a baby he behaved as though he could not hear. We would try to test his hearing by banging on cooking pans to make loud noise, but he would act like he didn’t hear it. He had a hearing test that said his hearing was perfect, so we knew it couldn’t be that he was deaf. He always chose to play by himself, and even as a baby, at two and three years old, he didn’t like hugs or kisses like most children do. Also, when he was born, he couldn’t figure out how to suck on a bottle — so he had trouble from the beginning.

Did it changed anything in your behavior with him?
I always tried to treat Caleb like any other child. Sometimes, this was very hard because he would throw tantrums often and sometimes it was embarrassing for me at school. I loved him very much, always, and I wanted him to know that. I was one of the only people in his life who talked to him like he was normal. I like to think that maybe that’s why he eventually went on to be « high functioning » and now can talk very well. Some kids with autism do not talk at all, so I felt lucky that Caleb eventually talked a lot! I think, as an older sister, I tried to always look out for him, especially when kids at school would tease him. I remember punching a boy on the playground when I was in primary school because he said my brother was stupid. He never spoke of it again!

Did your brother’s autism affected your life?
I think the biggest way it affected me is that I feel I do not want to have children of my own. I had such an intense experience with my brother that I almost feel like I have done « child rearing » already, even though I have no children. I also know that Autism likely has a genetic component to it, and I worry that I would have a child with Autism. I saw how hard it was for everyone in my life, especially Caleb. I’m not sure I could go through it again. I think, in a positive way though, that his Autism has made me incredible patient. When I used to teach children theater in school, their parents always wanted to know how I stayed so patient. I think my brother taught me that.

Was it hard or easy for you to talk about your brother, or even introduce him to your friends when you were a teen… and how is it today?
When we were children, it was very hard to introduce him to new people. I very often didn’t invite friends to my house because it would be too much for him. I would talk about him a lot, because I loved him, but when I was in middle school many people I was friends with hadn’t even met him before. But as we both got older and were in the same high school, we would see each other a lot between classes and he would say hi. My friends would always say hi to him too. Today it is much easier for him to meet new people. He isn’t often interested in having a long conversation, but he loves to talk about car racing, which is probably his favorite thing. He has learned very good manners as an adult and handles social situations very well, I think.

At home, with your parents, did you find your place or did your brother took »too much place »
I think he had to because he had so many needs that I didn’t have myself — he needed more attention, more rules, more time with my parents. I never got angry or felt sad that Caleb had more time with them because I knew it was helping him to learn and be happy in the world. I think that there were a lot of things about it that were hard for me, because I had a much different relationship with my parents. I eventually went to live with my grandmother but she did not treat me well, which is eventually why I knew I had to be on my own. When I got emancipated (this means: made your own legal guardian before you are 18 in the United States) I knew that I had to keep Caleb out of it, because he never would have survived if he couldn’t live at home with my parents. They were very good to him. I think I was more difficult, in a way, because my brother didn’t want hugs and kisses and I did. And my parents weren’t very good at showing their feelings.

How did you manage to flourish (I don’t know if it is the good word..)
I had a lot of support from my teachers at school. They were very special and thought that my good grades in school meant I was a little gifted (is this called surdoues, en francais?). So they helped me to feel confident in myself. I also had very good friends and we had a lot of fun when we were kids. It helped me to have a good sense of humor and focus on my studies. I love school and reading, so I think wanting to learn helped me get where I am today.

What kind of relationship do you have with Caleb ?
Today, I share guardianship of him with my parents. When they die, I will be his guardian. So, I see him as much as I can. He likes to play video games and talk about car racing, which he has a lot of knowledge of. He likes to go to bookstores — he loves to read, and especially loves the Garfield comic strip. He is a math genius and loves to do math problems, so I like to get him workbooks with math problems for him to solve. I live farther away from him now then I did when we were in school, so I don’t see him as often as I would like. I am very proud of him though. He sent me a great card for my birthday, and I have it on my mantle at home next to a picture of us.

Can you tell us how is Caleb today ?
He is doing well! He still lives with my parents. He helps out around the house sometimes, as long as someone is keeping an eye on his safety. He loves to volunteer at the school library and is also a teacher’s helper in a Sports Journalism class at the high school. I hope that someday he will be able to have a job where he can make money, because he does get some money from the government because he is considered « disabled » but it is not very much. My parents don’t have a lot of money because my mom has a chronic illness and doesn’t work, so, I hope that someday he can work with computers or something similar and make a small amount of his own money. I am very proud of all he has accomplished.

And a last question : if you had an advice to give for sisters, brothers or parents of an autistic person, what would you tell him/her?
Practice patience and understand that the world is sometimes very harsh for your sibling. Try your best to get to know what they enjoy and share those things with them. Don’t be embarrassed or ashamed of them, they are wonderful and loving and they will teach you so much. Be willing to learn from them and protect them too.

Thank you Abby for this glance as a sisterof an autistic child, and it is really moving to see how it happened to you  » from the inside » . And as I told you, it is thanks to my extra-ordinary son that I can meet people like you today. Thanks a lot ! 

For the record, I contacted Abby after reading her testimony about Caleb.

2 réflexions sur “ Interview : Abby, 23 ans, soeur de Caleb, autiste ”

  • 17/04/2014 à 09:51
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    Merci de nous faire partager ces témoignages ! C’est tellement intéressant pour nous, parents d’un petit bonhomme autiste, qui nous posons mille et une questions autour de ça… Tous ces points de vue différents nous encourage dans notre vision positive de cette aventure 🙂

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    • 17/04/2014 à 11:10
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      Merci Emma, ce que vous décrivez, c’est exactement ce que j’essaie de faire : proposer pleins de témoignages autour de l’autisme pour dédramatiser, faire tomber les a priori négatifs et j’espère donner du baume au coeur aux parents!

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