Mes rencontres avec l’autisme au fil du temps

rencontres avec l autisme

J’étais toute petite, la première fois que j’ai rencontré un autiste. Je ne devais pas avoir plus de 5 ans. On ne m’avait rien dit de particulier, et je ne pense pas avoir noté des singularités chez cet adulte qui devait à l’époque avoir plus de trente ans.

J’ai des souvenirs de lui passant des heures à jouer aux échecs avec ma mère, parlant fort, souvent ramenant la conversation à lui. On le plaignait, ce pauvre homme, de ne pas avoir eu quelqu’un pour lui tenir la main et lui expliquer comment se comporter en société, on disait que c’était la faute de ses parents. Avec les années, son état s’est dégradé. Il parlait de plus en plus fort, avait beaucoup tendance à se balancer, jouer avec ses mains, et puis avait des comportements déplacés à l’égard des femmes : mais personne ne lui avait montré ou expliqué … en fait personne n’a jamais pris le temps de faire son éducation. Pourtant a presque 60 ans maintenant, il vit dans une petite maison, il fait du ski l’hiver, il a quelques amis, il voit assez souvent sa famille, ou plutôt il s’impose à elle quand il y a des événements à fêter comme les anniversaires : il n’en oublie jamais aucun. Il s’appelle Jean, il est autiste non diagnostiqué.

Ma deuxième rencontre avec un autiste fût mon fils. C’était mon premier enfant, j’étais jeune et surtout je ne connaissais personne dans mon entourage avec des enfants, du coup je n’avais pas de point de comparaison. Nourrisson, il hurlait tout le temps, le pédiatre disait que c’était les coliques ; je me disais qu’il devait souffrir horriblement pour pleurer à ce point. Vers un an, il ne supportait pas d’être dans un lieu inconnu, : il s’accrochait à moi, tremblant de tout son petit corps, comme pour sentir ma protection. Il ne parlait pas. Il ne pleurait pas trop. C’était un bébé calme. Je me souviens, vers ses deux ans, il regardait un dessin animé : j’ai alors coupé le son et … il n’a pas réagi. J’ai alors frotté mes doigts doucement près de son oreille et j’ai compris qu’il n’était pas sourd. Un jour ma mère m’a dit : « Mais il faut lui parler à cet enfant si tu veux qu’il parle ! »  puis elle m’a jeté à la figure : « Il est autiste » . Je me suis dit qu’elle disait ça par méchanceté, ce qui était probablement le cas, mais pour le coup, elle avait raison.

Quelques années plus tard le diagnostic est tombé : le mot « autiste » est revenu dans ma vie. Mon seul point de comparaison fût le souvenir de Jean, avec tout le nuage malsain qu’on lui collait sur le dos et surtout sur celui de sa mère. Alors je me suis protégée : je ne suis pas allée aux rencontres entre parents d’enfants autistes parce que je ne voulais pas voir encore plus de tristesse que celle qu’il y avait déjà dans ma vie. Je ne suis pas allée sur les forum internet pour savoir, apprendre et comprendre. Je n’ai pas lu de livres sur l’autisme, je ne me suis pas documentée. Je suis restée avec ce diagnostic, mon fils était autiste, mais ce n’était pas grave.

Dans notre bulle, Le Petit Prince était un enfant qui avait des difficultés, mais qui n’était pas moins capable que les autres. Parfois j’étais frustrée, vraiment frustrée de ne pas le comprendre, de ne pas pouvoir anticiper toutes ses réactions pour éviter les crises. J’ai beaucoup pleuré, parce que j’étais fière de mon enfant, je le trouvais si beau, si pur, mais j’avais la peur au ventre qu’il ne puisse trouver sa place dans ce monde.

Pendant des années j’ai vécu en marge de l’autisme : un pied dedans et un pied dehors. Et puis cette année j’ai décidé d’en parler. C’était plus facile d’aller vers les gens en ayant une expérience positive à leur raconter : si je ne l’ai pas fait avant, c’est que je ne me sentais pas capable, vu la situation, de montrer quelque chose de bien alors que mon propre fils allait si mal. Et c’est là que j’ai rencontré de nouveau des adultes autistes : Marie, Seb, Pauline, Lucila, Nathalie, Phyl ou encore Marian …

J’ai réalisé, en leur posant des questions pour les interviews ou simplement en bavardant que leur vie était riche, qu’ils composaient avec leurs difficultés, que c’était souvent loin d’être simple mais qu’ils avançaient malgré tout. J’avais besoin d’entendre ça, parce que qui n’a pas de difficulté dans son quotidien ? Des problèmes d’argent, une allergie, la phobie des araignées, un boulot pénible, une maladie. Les autistes ont leur lot, ils surmontent, composent, affrontent. Moi aussi, à une autre échelle. Ils ne sont pas différents de moi. Mon fils aura une vie riche, avec ses peines et ses joies, peut-être un peu plus difficile que le commun des mortels mais c’est peut-être ça qui lui donnera tout son sel.

Mes autres rencontres se font maintenant aussi grâce aux livres : Daniel Tammet, Tony Attwood, Temple Grandin et d’autres auteurs viennent ouvrir mon esprit et ma connaissance de l’autisme. L’autisme ne ressemble plus à Jean désormais : il est multiple, touchant, complexe, intéressant, puissant. Il est loin d’être un sujet tabou, d’un mot à ne pas prononcer. Il ne me fait pas honte. Il ne me rend pas meilleure non plus. L’autisme fait partie de ma vie, la vision que j’en avais a évolué au fil du temps, de mes rencontres.

Je ne sais pas si j’ai eu tort de me couper de l’autisme pendant des années, car peut-être que le fait de ne pas être confrontée à des exemples négatifs  m’a permis de garder espoir et de tirer Le Petit Prince vers le haut. Mais une chose est sûre, c’est que je veux continuer de partager toutes ces choses avec vous, pour vous faire croire en les capacités de votre enfant et en les vôtres aussi, pour vous faire voir le rayon de soleil parmi tous les nuages menaçants.

Si je partage avec vous mes lectures, c’est qu’elles peuvent vous aider.

Si je réalise les interviews d’adultes autistes, c’est pour vous montrer concrètement ce qu’est une vie d’un adulte autiste.

Si je crée ces petites images sur le mur Facebook, c’est pour vous faire sourire, car je sais que vous en avez besoin.

Je ne sais pas où tout ça va me mener, mais je serai toujours là avec mes mots pour vous aider à regarder le rayon de soleil.

 

4 réflexions sur “ Mes rencontres avec l’autisme au fil du temps ”

  • 09/08/2014 à 14:56
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    Je viens de lire votre article… ♥ Il est très bien écrit.

    Et juste avant de découvrir vos nouveaux mots, je repensais à tous mes moments foudroyés par une intense solitude, subie et douloureuse. Plusieurs fois, cette incompréhension de mon environnement, les autres qui ne me comprenaient pas et moi qui ne les comprenais pas non plus, m’a conduite à brutalement renoncer… mais j’ai continué ma route, je ne l’ai pas coupée ; je me suis forcée, dans le noir, animée par une détermination tombée du ciel, à poursuivre mes pas malgré la solitude imposée par mon propre silence et…

    … faire tous ces efforts, ça valait le coup.

    Peut-être, sûrement, que la vie d’une personne possédant un fonctionnement autistique a en elle plus d’épreuves que celle d’une vie « normale », je le ressens ainsi, puisque moins de personnes ont l’esprit pour réaliser la dureté de certaines choses si elles n’ont jamais eu l’opportunité de côtoyer l’autisme tandis que la vie « neuro-typique » est partout. Mais aussi différentes soient-elles, même si nous n’utilisons pas les mêmes outils ou numérateurs, ces deux vies possèdent un dénominateur en commun : celui de la construction.

    Une situation, aussi terrifiante et obscure qu’elle peut l’être à certaines étapes de notre vie, n’est jamais figée -, surtout que le noir ne peut exister sans la lumière.

    Les moments difficiles ne disparaîtront jamais complètement. Régulièrement, ils se dressent sur le sentier. Mais plus nous avançons, plus il est facile de contourner l’obstacle afin de rester calfeutré dans la douceur du rayon solaire.

    🙂

    Ps : visionner « Moonrise Kingdom » réalisé par Wes Anderson était un très bon choix.

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    • 11/08/2014 à 09:13
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      Merci beaucoup, jolie coccinelle, ça me touche. En fait vous avez les mots qui me donnent aussi le courage d’avancer et je retiendrai votre phrase de fin : » plus nous avançons, plus il est facile de contourner l’obstacle afin de rester calfeutré dans la douceur du rayon solaire. »
      Vous avez résumé ma pensée en quelques mots.

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  • 13/08/2014 à 00:01
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    Vous êtes en plein voyage du héro. Il n’est pas important de savoir où il nous mène, l’important est de savoir que ce que vous faites rend un grand service à bcp de personnes sur ce site et c’est suffisant. Placez votre confiance en l’Univers qui travaille toujours pour vous, vos efforts et expériences offrent le potentiel d’une plus grande ouverture de conscience à l’humanité et c’est ainsi que nous développons au plus profond de notre âme. Un grand merci du fond du coeur pour votre courage et votre volonté de partager avec d’autres.

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    • 13/08/2014 à 12:25
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      Chère Myriam, je mûris doucement votre reflexion… le voyage du héros.. je vais m’imprimer votre phrase, elle me fait beaucoup de bien !

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