Les solitudes

solitudes de la maman d'un enfant autiste

Ce week-end, j’étais seule avec ma fille. Le Petit Prince et l’Homme avaient choisi de partir entre eux, et c’est une bonne chose mais en restant avec ma fille de 3 ans et des brouettes, je me suis rappelée les moments où je vivais seule avec Le Petit Prince. La nostalgie m’a envahi.

Solitude en faisant les courses avec mon caddie, seule de mon fils en classe, seule de cet enfant que j’ai laissé malheureux le matin, hurlant déjà sa colère d’être confronté aux autres qu’il n’aime pas, séparé de moi. Seule pour l’élever, endurer les coups durs, réaliser mon impuissance.

Solitude avec les professionnels qui s’occupent de mon fils, à me dire qu’ils ne le comprennent pas, ou qu’ils le comprennent mieux que moi, à les écouter ne rien m’apprendre, à percevoir entre les mots les intonations qui en disent long.

Solitude de ne pas pouvoir faire mieux, de ne pas me sentir à la hauteur, d’attendre quelque chose qui ne vient pas. Espérer que cela va s’arranger. Se dire que quand il aura dix ans, ce sera vraiment différent et vraiment mieux – mon intuition était bonne.

Solitude face au diagnostic, se demander ce qui va se passer après, comment on va m’aider, avoir peur d’appeler à l’aide par crainte de ne pas avoir de main tendue en échange.

Solitude d’être seule à aimer cet enfant par dessus tout, de vouloir qu’il soit aimé comme il est, solitude de le sentir si seul… et pourtant, moi, je suis là.

Solitude dans mon petit appartement, espace hermétiquement fermé au monde, sur lequel je déverse ma maniaquerie aseptisante pour calmer mes angoisses.

Solitude avec les autres, à expliquer que je consacre désormais  ma vie à parler d’autisme à travers ce blog, à justifier le pourquoi du comment, à subir les yeux ouverts de mes interlocuteurs, d’entendre leur « Ah, mais je ne savais pas », comprendre qu’ils ne me regardent déjà plus comme quelqu’un d’ordinaire.

Solitude de voir ma fille grandir à l’abri de tout ça, solitude de la voir lutter pour prendre sa place dans la famille quand tout est centré sur son frère. Fierté de la voir réussir avec brio, à la fois débordante d’énergie, chantant à tue-tête, courant après le chien, nous répéter au moins cinq fois par jour : « On est bien dans notre famille… »

Solitude de mon fils parti avec l’Homme, de le voir grandi, probablement heureux, joyeux, taquin, de me dire qu’il est loin le temps où il voulait revenir dans mon ventre.

Solitude du temps qui passe, de ne  pouvoir oublier ce passé difficile, de devoir avancer avec ça, de continuer encore et toujours, de savoir que rien n’est terminé.

Je ne suis plus seule aujourd’hui, et le Petit Prince non plus. Mais quand on a été seul longtemps, on souffre de solitude toute sa vie.

 

12 réflexions sur “ Les solitudes ”

  • 09/06/2014 à 17:40
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    Oui, je connais bien ça….j’ai élevé ma chipie toute seule et elle a 16 ans. Même si aujourd’hui je ne suis plus seule, je l’ai été jusqu’à y a peu et même avec son père j’ai été seule et même après, quand j’ai eu d’autres petits copains j’ai été seule….parce que c’est plus facile de laisser la maman tout gérer pour mieux la critiquer ensuite !

    Oui je comprends, c’est à la fois loin et si près, on a cette force et cette fragilité à la fois…cette vigueur et cette amertume. Je le comprends.

    On ne change pas sa vie d’un claquement de doigts, mais on peut avancer et se dire qu’on a eu raison d’agir comme on a agi. C’est marrant ce que tu dis de ton fils, c’est ce que je me dis de ma fille. Lorsqu’elle part au théâtre avec mon homme, je suis contente et à la fois je repense à ce petit boutchou que je ne pouvais pas lâcher nulle part, qui se mettait en danger, se sauvait en riant aux éclats.

    Oui, il ne faut pas oublier d’où on vient et notre parcours….parfois ça fait du bien de voir un peu tout le parcours. Bravo, tu peux être fière de toi ! Oui, on doit être bien dans votre famille ! 😉

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  • 09/06/2014 à 18:33
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    oh oui, même quand j’étais mariée, j’étais « seule » pour mon fils ma lumière et maintenant tout autant…; alors j’ai une nouvelle passion, la peinture…;l’art thérapie…. c’est tellement bon puis bien sûr la lecture…. alors bravo à toutes les mamans, ….

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  • 09/06/2014 à 18:37
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    « Mais quand on a été seul longtemps, on souffre de solitude toute sa vie ».
    La solitude crée aussi des mécanismes de prise de hauteur;
    La solitude (réelle ou présupposée) rend libre sur le plan intellectuel;
    Elle impose (de part les mécaniques sous-jacentes) de penser par soi-même.
    L’Autisme grandit, elle en est une des preuves.
    Marian

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    • 12/06/2014 à 11:17
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      La solitude entraine aussi des mécanismes de renfermement sur soi et là on ne parle plus de prise de hauteur : l’individu enfermé ne sort plus de son monde, il s’enferme et n’est donc plus « libre » de penser. C’est comme dans tout, il faut trouver un équilibre.

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  • 12/06/2014 à 12:14
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    ça dépend je dirais. De quel type de solitude on parle. Si c’est une solitude choisie, un cocon qui nous fait du bien, on sait qu’on peut sortir à tout moment….et retrouver les personnes qu’on aime et même se laisser envahir un moment par le « monde »…(finalement, ce n’est pas « le trouble » qui est envahissant mais le monde !)…si c’est une solitude imposée, où on se sent rejeté par les autres, oui, on a tendance à se replier et à parfois tourner en rond ses failles….mais tout dépend encore de la nature de la personne. Personnellement, j’ai été rejetée bon nombre de fois pour ma particularité, on m’a même dit que c’est moi qui rejetait les autres, que j’étais trop distante, ou que j’étais une « allumeuse »…parce que je m’intéresse aux autres et d’un coup, je suis silencieuse…on a du mal à m’attraper, à me ramener vers les autres….Je ne suis pas sûre que l’on s’enferme définitivement, les mauvaises expériences finissent par s’estomper, on peut également se retirer du monde bruyant et environnant pour un certain temps pour mieux revenir…mais le temps pour les neurotypiques parait toujours trop long, car ils sont dans l’attente.

    Ils sont dépendants. Une personne autiste, si elle sait qu’elle ne doit compter que sur elle, que les autres manquent de fiabilité autour, qu’ils ne feront pas les choses comme on veut les faire nous, on va chercher à se retirer provisoirement pour pouvoir justement mieux faire les choses qu’on voulait faire….et quand on est dans notre projet, tant qu’on n’a pas fini, c’est difficile de nous déranger, car on ne veut pas perdre l’idée, on veut pouvoir aller au bout….et on n’a pas envie d’avoir des « parasitages » même de bonne intention, ce n’est pas forcément une toxicité, mais pour nous qui sommes absorbés, on reçoit l’information de la même façon, que ce soit bon ou mauvais, mais après, on n’y pense plus….Sauf que les autres, ben, les autres, on peut les comprendre, on a été désagréables parce qu’on a eu besoin d’être hostile un moment donné ou qu’on a été un peu abrupte pour pouvoir vaquer à nos occupations.

    Je ne sais pas ce que ça donne de l’extérieur, moi, par exemple, lorsque ça me prenait de réfléchir à la couleur des peintures que j’allais acheter pour repeindre mon intérieur, que je pensais à ce qui allait le mieux me convenir….et lorsque j’achetais la peinture, à partir de là, il ne fallait plus me déranger. Je ne supportais plus aucune intervention extérieure. Quiconque était cet extérieur. J’étais fermée et j’étais dans mon idée. J’ai une copine il y a quelques années qui m’a pris un peu la tête sur un de mes projets, elle était soi disant venue pour m’aider et elle ne faisait que parler, en plus elle a exigé une tenue plus affriolante que le jogging (pourtant propre) que je lui proposais pour ne pas salir ses vêtements. D’un coup, ça m’a pris, je me suis dit « elle va m’emmerder longtemps encore » et alors que je lui ai dit qu’elle devrait rentrer chez elle, car j’avais du travail, elle a commencé à s’offusquer. Mais comme elle continuait à babiller et à se justifier, je lui ai dit de partir j’ai ouvert la porte et je lui ai dit de sortir si elle ne voulait pas se prendre le pot de peinture sur la tête. Je pense que j’aurais été capable de le faire….

    Elle m’a écrit une lettre longue et ennuyeuse m’expliquant à quel point je l’avais blessée, combien elle était armée de bonnes intentions, etc. Et au lieu de lui répondre, j’ai laissé passer le temps et un jour elle m’appelle et alors que je n’étais pas chez moi, j’étais sortie acheter ce qui me manquait au magasin de bricolage….à mon retour, j’écoute le message sur le répondre et là elle me sort « je suis disposée à te pardonner…. » je n’ai pas écouté le reste….j’étais prise d’une sourde colère….je l’ai appelée et comme je suis tombée sur son répondeur (ça m’arrangeait), j’ai hurlé qu’elle me foute la paix et que plus jamais elle ne revienne m’emmerder et que j’en avais rien à faire de son pardon.

    Bref…avec le temps, peut être que si elle avait su que je suis autiste et peut être qu’elle aurait compris et peut être que j’aurais pu lui expliquer en amont ce que la présence d’une personne peut me faire comme sensation intrusive….on aurait pu préserver notre amitié…mais avec le recul, je pense que c’était la meilleure chose à faire. Je me suis dit que de toute façon, j’étais dans mon droit de m’isoler et que je n’avais surement pas envie qu’on vienne m’enquiquiner pendant que je travaillais. Je l’avais prévenue, que lorsque je travaille, je ne veux personne dans mes pattes. Et elle m’avait dit qu’elle m’aiderait…une autre était aussi venue m’aider, mais elle n’arrêtait pas de demander quand est ce qu’on mangerait….moi il se trouve que lorsque je travaille, je me contente d’un bout de jambon blanc ou d’un bol de céréales et je m’y remets….et parfois j’oublie même de manger….mais elle, non, il fallait mettre la table, etc. etc. J’en pouvais plus. Mais elle a senti que je saturais, alors elle a ri et elle m’a dit « bon, je vais te laisser, t’es pas dispo », elle avait compris que je n’étais pas disposée à être sociable.

    Donc, j’ai pris exprès des exemples différents, mais je ne pense pas que j’ai manqué de liberté justement…au contraire, j’avais une sensation qu’on entravait ma liberté. Je me sentais bien avec moi même. C’est différent pour une personne neurotypique je pense. Les personnes neurotypiques ont la crainte de la solitude. Nous, on s’adapte. C’est vrai qu’il y a des personnes autistes qui sont très dépendantes affectivement, mais malgré tout, quand elles ont envie d’être seules, elles n’ont pas envie qu’on les dérange.

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    • 12/06/2014 à 15:57
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      Je te rejoins, en effet, sur le fait que les autres peuvent entraver notre liberté, et que notre besoin d’isolement , besoin naturel, nous pousse à demander aux autres de partir ou nous amène à nous couper plus ou moins du monde, ça peut être temporaire mais salutaire. Mais je discerne bien l’isolement pour le bien-être, la solitude par choix et la solitude avec cet espèce de tristesse qui nous ronge. Dans mon texte, je parle plutôt de ces solitudes là, ces moments où l’on fait face, contre l’adversité et qu’on est seul(e). La solitude, je ne la subis pas, je suis casanière, bien chez moi, j’ai des amis que je vois souvent, et ça me suffit. Mon isolement me va très bien. Mais je connais bien la solitude mêlée de tristesse, je la connais bien…

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  • 12/06/2014 à 12:27
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    Je me suis sentie souvent plus seule avec les autres qu’avec moi même. Je n’aurais pas connu mon compagnon, je pense que j’aurais même pas cherché à avoir un petit copain, j’ai fait des pauses de 3 ou 5 ans entre chaque petit copain à 2 ou 3 reprises…j’avais besoin de me recentrer sur moi, je me sentais envahie par les relations complexes et pénibles et j’en étais à un stade de ma vie où je devais m’occuper de ma fille et si c’était pour me justifier et expliquer en quoi ma fille ne relevait pas d’une institution, je préférais encore être seule.

    Je pense qu’avant d’avoir ma fille je me suis sentie plus seule, un peu comme vide, mais je me cherchais un but, je sentais le besoin de maternité en moi et je me sentais mal de ne pas avoir d’enfant. j’étais plus en mal d’enfant que de mal de compagnon. En fait, je pense qu’un compagnon m’était totalement accessoire. Si ça avait été mon compagnon actuel, je pense que ça n’aurait pas posé de souci d’avoir les deux, mais un compagnon envahissant, qui ne me correspond pas, non, c’était pas vivable pour moi. Avec lui, je me sentais plus seule avec lui…alors que pourtant il m’est arrivé de ne pas avoir même un seul flirt en 3 ans, et ça ne me manquait pas. Bien sûr, les fêtes de fin d’années, tout ça, nous rappelle qu’on est seul(e)s….mais en dehors de cette période pénible, non, je me sentais plutôt en accord avec moi même dans cette solitude. Il m’arrivait même de me dire que si ma fille n’avait pas eu autant de troubles du comportement on aurait voyagé et on aurait vécu ailleurs….mais tout était compliqué avec ma puce. Alors j’ai fait en sorte de me battre pour elle….

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    • 12/06/2014 à 16:00
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      Il y a un vieil adage qui dit qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné… ça rejoint aussi ce que tu dis: avoir un compagnon qui nous prive de liberté n’est clairement pas une bonne chose. Et ce que j’aime dans ce que tu dis, c’est quand tu parle d’avant ta fille, finalement c’est ta maternité qui te manquait : je suis d’accord avec ça, avoir un enfant ça enlève le vide, complètement.

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      • 13/06/2014 à 16:29
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        Oui, j’ai été longtemps mal accompagnée. Aujourd’hui je suis bien accompagnée. Mais il faut le temps de bien construire cette relation. Donc, en effet, il faut se laisser le temps de se construire soi en parallèle de cette histoire et construire l’histoire chacun l’un avec l’autre. Laisser la place à chacun.

        Non, je pense que c’est pas la maternité qui me posait un souci c’est de savoir qui j’étais. Et jusqu’au diagnostic, la maternité m’a permis d’avoir une raison d’être…le diagnostic m’a permis juste de mettre des cadres à ce que je suis et de me trouver moi.

        Un peu comme trouver ses origines quand on a été adopté. Je ne suis pas une enfant adoptée, mais je réagis comme si je l’avais été. Car en fait, ne pas se sentir en accord avec le monde qui m’entoure et avec mes proches, avoir en plus toujours quelqu’un pour vous reprocher de ne pas être conforme à ce qu’on attend….on a l’impression que finalement on n’est pas né dans la bonne famille.

        Avoir ma fille ça me permettait de commencer ma famille avec elle. De savoir que j’ai une origine commune avec quelqu’un. Si j’avais su avant qui je suis, j’aurais peut être eu ma fille ou peut être pas…mais je l’aurais faite avec la pleine connaissance de ce que je suis. Avant, c’était mon seul lien avec la « famille » de son origine. Finalement, cette idée qu’on vienne des néandertaliens pourrait expliquer beaucoup de choses…(je ne suis pas la seule à avoir pensé à ça)….ce besoin de se trouver des racines dans le diagnostic….c’est pas pour rien.

        Je pense que l’impression de la solitude pesante peut aussi provenir d’un manque d’ancrage dans la terre, dans les racines….dans le savoir qui on est. Je ne sais pas, ça me vient comme ça….là….

      • 16/06/2014 à 09:29
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        Ca me parle complètement quand tu parles de trouver ses origines, tu viens d’éclairer une petite lumière en moi qui me permet de mieux me comprendre, Nathalie ! Je suis une déracinée, apatride et quasi sans famille. Difficile de trouver des racines solides en lesquelles s’ancrer pour pouvoir avancer autrement que dans des sables mouvants. Cette solitude que j’éprouve, je crois qu’elle vient de là.
        Tu es une très bonne psy, HAHAHA !

      • 16/06/2014 à 11:12
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        Je pense qu’on grandit en cherchant la réponse ensemble…l’une comme l’autre. Je pense qu’aucun bon psy ne saura faire du bon travail si lui même pense avoir que des certitudes, s’il ne cherche pas lui aussi…finalement, les psy ont autant besoin de nous que nous d’eux (si on a besoin d’eux)….on a besoin d’écoute et qu’on nous aide à débroussailler un peu le terrain pour y voir plus clair. Mais les psy doivent aussi savoir s’affranchir des carcans ordinaires…je lis parfois des livres de psy sur l’épanouissement personnel, genre Christophe André ou Gérard Apfeldorfer ou tout ce qui peut me donner une indication sur la façon de pouvoir lâcher prise (c’est très tendance je dirais !)…ou au contraire, avoir une meilleure prise dans la terre ! On explique souvent aux gens qu’ils doivent lâcher prise, aller prendre un bol d’air, s’acheter une nouvelle fringue, ou d’aller chez le coiffeur pour se sentir mieux…mais c’est temporaire…on sait que ça « reviendra »….en fait, oui, il faut trouver la cause de ce malaise. Et oui, souvent – et cette société nous y pousse à nous déraciner – on s’isole et on se demande ce qui ne va pas…après, avoir une famille si elle ne te correspond pas, c’est peut être pas les meilleures des racines, parfois juste savoir d’où on vient suffit, mais créer sa propre famille de coeur, créer ses propres repères, ses propres valeurs….ses propres codes et on ne se sent plus larguée dans la nature. En tout cas, j’insiste sur le point, c’est que ta capacité à rebondir, à réagir rapidement est le fruit d’avoir du apprendre à te débrouiller. Et c’est ça qui fait souvent défaut aux personnes qui ont été trop assistées, trop couvées…c’est qu’on sabote leur instinct de survie. Ne dit on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? On a en tout cas préservé le tien….et c’est tant mieux ! Tu es une winneuse ! Bravo ! 😉

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