Les difficultés des autistes – souvent un problème de conception plus que de capacité : un article de Temple Grandin

Problèmes de conception plutôt que de capacités

Voici un nouvel article de Temple Grandin qui a eu la générosité de m’accepter comme traductrice de ses textes en version française. Celui-ci est issu de la page d’accueil de son site templegrandin.com et au fil de ma traduction, je me suis absolument reconnue dans l’éducation peu « attendue » que j’ai donnée au Petit Prince et qui fait probablement beaucoup dans le fait qu’aujourd’hui, mon fils est un ado comme les autres avant de porter l’étiquette « autiste ». Le texte qui suit est la traduction de cet article :


 

Si l’algèbre avait été un cours obligatoire pour l’obtention du bac en 1967, il n’y aurait pas de Temple Grandin.

Du moins, pas la Temple Grandin que le monde connaît aujourd’hui : professeur, inventeur, auteur à succès et star du rock dans des domaines apparemment divergents de la science animale et de l’éducation de l’autisme.

« J’aurais probablement été un homme à tout faire, réparant des toilettes dans un immeuble quelque part », dit Temple, âgée de 66 ans. « Je ne peux pas faire d’algèbre. Cela n’a aucun sens pour moi. Pourquoi l’algèbre doit être la porte d’entrée de toutes les autres disciplines liées aux mathématiques ? »

Les concepts abstraits de l’algèbre présentent une vraie difficulté pour beaucoup de personnes ayant  un trouble du spectre autistique, qui touche environ 1 enfant américain sur 88 selon les Centers for Disease Control and Prevention. Pour les autistes et les «penseurs visuels photo-réalistes» comme Temple Grandin, la compréhension vient de la capacité à voir et travailler via des concepts en images, créant comme un programme de réalité virtuelle qui fonctionnerait dans le cerveau. De cette manière, Temple – qui ne parlait pas jusqu’à presque 4 ans – a conçu dans les moindres détails un système de gestion du bétail utilisé maintenant sur près de la moitié des bovins aux États-Unis.

Heureusement, la tendance académique dans les années 60 en avait fini avec les mathématiques, un cours que Temple a pu suivre avec l’aide de tuteurs et de beaucoup d’assiduité, afin de satisfaire aux exigences de son université en maths. Elle a continué et passa avec succès un diplôme en psychologie ainsi qu’une maîtrise et un doctorat en sciences animales. Pendant les deux dernières décennies, elle a été professeur à l’Université d’État du Colorado.

«J’ai de la chance. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de chance», déclare Temple Grandin, qui est largement décrite comme la personne autiste la plus connue au monde.

Avec des apparitions dans le « Today show » de NBC et  le »Larry King Live », et après avoir gagné un Emmy Award en 2010 pour le documentaire fiction de HBO basé sur sa vie, il n’y a pas de discussion possible : elle est devenue un peu comme une icône de la culture pop.

Le problème avec les étiquettes

Comme le nombre d’enfants autistes diagnostiqués continue d’augmenter à l’échelle nationale (aux Etats-Unis, N.D.L.R), Temple fait salles combles en partageant son message sur les « cerveaux aux capacités différentes ». Le cœur de ce message est le suivant: les attentes scolaires et sociales rigides peuvent étouffer un esprit qui – alors qu’il peut avoir des difficultés à conjuguer un verbe – pourrait un jour nous emmener très loin.

«Les parents sont tellement préoccupés par les lacunes de leurs enfants qu’ils ne construisent pas les points forts, alors que ces compétences pourraient se transformer en un emploi», a déclaré Temple, qui fait référence aux progrès scientifiques dans la compréhension de l’autisme dans son dernier livre, Dans le cerveau des autistes.

«Ces enfants ont souvent des compétences inégales. Nous devons être beaucoup plus souples sur les choses. Ne retenez pas ces génies des mathématiques en arrière. Vous allez devoir leur donner une attention particulière en lecture parce que c’est le passage obligé, mais laissez-les aller de l’avant en mathématiques « .

Un diagnostic précoce peut conduire à une intervention précoce et à l’accès aux programmes d’éducation spéciale, et, bien que que ce soit primordial pour les enfants atteints d’autisme sévère, cela signifie aussi leur coller une étiquette permanente qui finalement pourrait entraver les progrès – et le développement sain de l’identité d’un enfant.

« Une des difficulté aujourd’hui est que pour qu’un enfant obtienne des services spéciaux à l’école, ils doit avoir une étiquette. Le problème avec l’autisme est que vous avez un spectre qui va d’Einstein à quelqu’un qui ne parle pas. », a déclaré Temple Grandin, qui a une forme d’autisme de haut niveau connue sous le nom de syndrome d’Asperger. « Steve Jobs était probablement légèrement autiste. Fondamentalement, vous avez probablement connu des personnes qui étaient geeks et socialement maladroites mais très intelligentes. A quel moment les geeks et  les nerds deviennent-ils autistes? C’est une zone trouble. La moitié des gens dans la Silicon Valley sont probablement autistes. »

Le manque de compétences pratiques

Une étiquette peut également avoir un impact sur les attentes des parents, lesquels représentent pourtant une source majeure dans la dynamique thérapeutique. Un parent d’un enfant autiste diagnostiqué pourrait être réticent à lui enseigner des compétences pratiques et sociales qui se situent en dehors de la zone de confort de l’enfant, comme commander de la nourriture à un fast-food.

« Ça fait mal parce qu’ils n’ont pas de suffisamment d’attentes pour leurs enfants. Je vois trop d’enfants qui sont intelligents et qui ont obtenu leur diplôme, mais qui ne parviennent pas à avoir un emploi parce que quand ils étaient jeunes, on ne leur a pas appris de compétences professionnelles. Ils n’ont pas les compétences de la vie. Le parent pense, « Oh, pauvre Tommy, il est atteint d’autisme alors il n’a pas besoin d’apprendre des choses comme faire les courses.»

Temple Grandin a été élevée par sa mère dans les années 1950, une époque où les aptitudes sociales ont été « enfoncés dans chaque enfant» dit-elle.

«Les enfants de ma génération, quand ils étaient adolescents, avaient un emploi et ont appris à travailler. J’ai nettoyé les boxes à chevaux» dit-elle. « Quand j’ai eu 8 ans, ma mère m’a fait faire hôtesse d’accueil – serrer les mains, prendre les manteaux. Dans les années 1950, les compétences sociales étaient enseignées de façon beaucoup plus rigide et les enfants légèrement autistes ont été contraints de les apprendre.  Ne pas avoir ces compétences formellement enseignées nuit d’avantage à l’enfant autiste qu’aux enfants normaux. »

Les vieux métiers comme livreur de journaux de quartier sont des occasions parfaites pour les enfants autistes afin d’apprendre la responsabilité et la façon de fonctionner dans le monde réel.

«Je souhaite que nous les gardions encore (ces vieux métiers, N.D.L.R.) parce qu’ils ont forcé ces enfants à interagir avec les gens».

Les compétences que les personnes atteintes d’autisme apportent avec elles doivent être protégées, pour leur bien comme pour celui de la Société toute entière. Et Temple ajoute : si un remède à l’autisme était trouvé, elle choisirait de rester comme elle est.

« J’aime la façon vraiment logique de penser. Je suis tout à fait logique. En fait, ça me scie de voir à quel point les êtres humains sont irrationnels», dit-elle. « Si vous êtes totalement débarrassé des autistes, vous n’aurez personne pour réparer votre ordinateur à l’avenir. »

L’autisme aux Etats-Unis en quelques chiffres

  • 1 enfant américain sur 88  a été identifié avec un trouble du spectre autistique (TSA).
  • 1 enfant sur 85 dans le Colorado est affectée par l’autisme.
  • La prévalence nationale estimée pour les TSA a augmenté de 78% entre 2002 et 2008.
  • Les TSA affectent près de cinq fois plus de garçons que de filles.
  • La majorité (62%) des enfants atteints de TSA n’ont pas de déficience intellectuelle.

4 réflexions sur “ Les difficultés des autistes – souvent un problème de conception plus que de capacité : un article de Temple Grandin ”

  • 14/11/2014 à 03:14
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    Je suis une grande admiratrice de Temple mais elle est un peu vieux jeux: nous nous devons de gerer des situations ds le 21e siecle et bien entendu les methodes des annees 50 ont quelque peu change. De plus il faut bien se dire qu’elle est Asperger, avec 1 niveau de quotient intellec eleve. Le monde change mais je suis d’accord avec son principe que ns pouvons tout apprendre (ou presque tout) a notre enfant autiste. De plus l’education sociale se fait avec tous les enfants, pas de raison de ne pas le faire pour les autistes, ils en ont peut-etre plus besoin que les neurotypiques.

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    • 14/11/2014 à 12:22
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      Vous avez raison Myriam, les méthodes ont changé, mais fondamentalement, quel que soit le niveau intellectuel, on doit apprendre à son enfant les gestes simples du quotidien, c’est vraiment important. Comme demander du pain à la boulangère, débarrasser la table etc. et oui c’est vrai que l’éducation sociale se fait pour tous et je dirais même que c’est primordial pour les autistes, on se rejoint là-dessus.

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  • 14/11/2014 à 20:08
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    Vieux jeu ???? non mais on marche sur la tête ou quoi là ? Les parents DOIVENT apprendre à leurs enfants à exister dans ce monde. Et il y a des tas de façons d’y arriver. Désolée, mais là je suis ahurie et je me bats pour une personne que j’aime énormément qui a été infantilisée et qui a été sabotée par sa môman chérie….alors je suis désolée de paraître hyper trash, mais c’est pas contre vous. C’est juste que non, moi j’ai été dite débile mentale par mes parents et pas intellectuelle et pourtant, tout le monde me dit que moi j’ai de la chance (aujourd’hui), on me dit que j’ai de la chance d’être très intelligente et que mon autisme ne me voit pas. Ma fille ne parlait pas et me tartinait les murs de caca et autres matières, et aujourd’hui on me dit que j’ai de la chance que ma fille est probablement AHN (autiste de haut niveau), alors qu’elle ne l’est pas puisqu’elle a en plus un QI de 45. Ma fille n’est pourtant pas bête du tout, c’est une gamine qui a évolué favorablement car je ne l’ai pas traitée comme une neuneu et que je l’ai poussée à être autonome et à faire les choses seule.

    Tous les enfants, si on les coupe de leur instinct de survie, si on les rend inaptes à réussir seuls seront complètement perdus dans cette société (ou même l’ancienne, faut pas croire qu’avant c’était plus facile ou mieux, chaque époque a ses succès et ses revers de médaille). Moi, c’est ma fille qui m’a aidée à développer mon potentiel et je lui dois TOUT, je lui dois mon dévouement et je lui dois d’être une mère qui l’aide à trouver sa place, pas à tout faire à SA PLACE.

    On ne fait pas les enfants pour soi (sinon on est narcissique et totalement égoïste) mais pour eux mêmes, pour qu’ils existent !

    Super article, vraiment, j’adore et j’adore Temple Grandin ! Tu peux lui dire que je suis à 100% d’accord avec ce qu’elle dit et dommage, si je parlais anglais, je lui dirais moi même….

    D’ailleurs, même Donna Williams le dit aussi….il faut arrêter de trop couver les enfants, ça les pourrit au lieu de les aider. Faut les aider à être autonomes, pas attendre 25 ans pour se décider à leur apprendre à remplir un formulaire….un autiste a besoin de plus de temps que les autres, sa maturité n’est pas homogène et il aura besoin de temps pour former son idée de ce qu’il voudra faire de sa vie, il devra aussi comprendre comment ce monde fonctionne et le leurrer ne va surement pas l’aider (ni l’effrayer non plus d’ailleurs).

    Mes parents m’ont fait travailler à 16 ans, j’ai appris en contrat de qualification un métier, mais j’ai eu avant ça un CAP et un BEP de couture, mais je n’exerce pas dans ce domaine (juste en dilettante), j’ai exercé dans les cabinets d’avocats aussi, mais à 18 ans, ma mère m’a confié une mission qui n’est pas évidente, je l’ai comprise, mais elle m’a aussi permis de comprendre ce que je ne voulais pas faire plus tard : gardienne d’immeuble. J’ai compris que c’était une responsabilité énorme et j’ai travaillé un mois et j’ai compris pas mal de choses….Ma mère m’envoyait faire les courses à 8 ans, d’abord au petit Felix Potin, ma mère me disait (en me confiant un gros billet) « fais y attention comme à tes 2 yeux ! ». Je m’en rappelle encore….on en a parlé y a peu, on a rigolé. Elle tremblait à l’idée que l’on puisse m’enlever ou m’escroquer, mais fallait bien….à 12 ans je prenais le bus toute seule (à Paris) pour aller à l’école. Bref….j’ai eu des petites occupations et à 16 ans j’ai commencé à travailler pour m’acheter ce que moi je voulais (c’était ça ou le minimum que mes parents me proposaient, mais moi j’avais d’autres envies et d’autres aspirations, alors fallait que je travaille pour). Bref….ma vie n’a rien de différent d’une autre personne non autiste et pourtant….je suis bien autiste. J’ai été diagnostiquée et pas une association ni un cabinet privée, non….mais un hôpital expert.

    Donc….oui, on peut faire des choses pour « grandir », évoluer….si on ne nous met pas des bâtons dans les roues, si on ne pleure pas sur notre sort, on peut y arriver avec plus ou moins des difficultés….certes….mais bon, j’ai souvent même mieux réussi alors que pourtant, on me disait complètement neuneu.

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  • 15/11/2014 à 17:12
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    Tout à fait d’accord avec elle, pour moi la seule différence entre l’éducation d’un autiste et un neurotypique c’est les relations sociales, ce n’est pas naturel pour nous, mais ça s’apprend, et il faut qu’on apprenne, l’erreur ultime et de ne pas nous les enseigner. Et le meilleur conseil et bien sûr d’être le plus explicite, à la manière d’un professeur de maths qui va expliquer que 1 et 1 font 2, il faut expliquer les règles sociales. Les personnes qui m’ont le plus aidé ont été celle qui était le plus explicite et pragmatique.

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