Interview : Stephanie Tihanyi, 54 ans, peintre et Asperger

Stephanie Tihanyi dans son atelier

Je m’appelle  Stephanie Tihanyi, j’ai 54 ans, je travaille comme artiste visuel freelance et je suis Asperger.

C’est une lectrice, Myriam, qui m’a parlé de Stephanie pour avoir réalisé la couverture du livre de Tony Attwood, Been There. Done That. Try this ! J’ai voulu en savoir plus sur cette artiste, et voici son interview !

La version originale de nos échanges en anglais se trouve à la fin de l’article.

A quel moment et comment as-tu remarqué que tu étais différente ?

J’ai remarqué que j’étais différente des autres enfants vers environ 6-7 ans à l’école primaire. Les enfants se regroupaient et jouaient ensemble, liés par un code, un comportement ou d’une façon mystérieuse. On m’a éduquée pour être une enfant polie mais j’étais souvent exclue des jeux avec les autres enfants. Je me souviens dans la cour de l’école, la maîtresse essayait de faire en sorte que les autres enfants me laissent jouer avec eux, mais ils s’enfuyaient à peine avait-elle le dos tourné. Je me souviens des maîtresses disant : « Pourquoi les autres ne veulent pas jouer avec toi,  que fais-tu ? ». Je m’en voulais et dans ma honte, je me cachais dans les cages d’escalier pendant les récréations pour éviter d’avantage de rejet des autres ou la suspicion. Pour me sentir en sécurité, j’ai appris à me fondre dans le décor et à être invisible.

As-tu bénéficié d’un traitement ou d’une aide spéciale pour t’aider ?

Non. A cette époque il y n’y avait pas de traitement, ni de dépistage de ce qui était alors inconnu et que beaucoup ne croyait pas en l’existence chez les filles. Nous étions juste des filles tranquilles, ou pleines d’imagination, qui vivaient dans leur propre monde, des enfants rêveuses.

Recevais-tu du soutien de la part de ta famille ?

Non. Ma vie de famille était très instable, nous étions 4 enfants, mon père était souvent absent avec d’autres femmes, ma mère luttait pour se débrouiller avec mes deux petits frères, ma soeur plus âgée et moi. Nous déménagions constamment, changeant d’écoles de nombreuses fois. J’étais étiquetée comme la rêveuse, la petite fille très imaginative ou tête en l’air. Il y avait quelque chose de différent chez moi mais personne ne savait ce que c’était. De l’avis de mon père, tous les problèmes de santé mentale arrivaient à des personnes qui avaient une certaine faiblesse morale ou de mauvais gênes. Je pense que c’est juste qu’on ne savait pas. J’ai un cousin qui était autiste et on en parlait comme de quelque chose d’honteux ou à plaindre.

Mais maintenant, tu as une vie riche et artistique, peux-tu nous dire si devenir peintre t’as aidé à grandir et te sentir mieux?

Oui, l’art a sauvé ma vie. Cela m’a donné un exutoire pour exprimer mes sentiments, même ceux que je ne pouvais comprendre ou communiquer. C’était une défense contre la solitude et finalement mes capacités d’artiste autodidacte ont commencé à impressionner les autres, ce qui m’a donné une rédemption sur cet aspect, quand je me sentais incapable de bien des manières. D’accord, tout le monde pensait que j’étais bizarre et stupide (j’ai raté l’école dès mes 11 ans et on disait de moi que j’étais « en dessous des capacités moyennes » ) mais bon sang, je pouvais peindre comme personne ! C’est probablement ce qui m’a poussée à être perfectionniste.

Comment l’autisme influe sur ta vie quotidienne ?

Et bien à 54 ans, j’ai eu toute une vie pour gagner en aptitudes pour m’aider. J’ai toujours les mêmes défis, mais j’ai appris à utiliser mon intelligence et ma mémoire pour travailler sur ces défis. Je ne me suis pas toujours sentie aussi bien, dans ma vie j’ai souffert de dépression sévère, d’anxiété chronique, du chômage et de la solitude. J’ai toujours senti que quelque chose d’essentiel ne collait pas chez moi, mais je ne pouvais le réparer. Je ne pouvais pas être comme les autres. Ca a duré jusqu’à ce que je me fasse diagnostiquer tardivement et là tout est devenu clair et cette révélation m’a donné le pouvoir de me faire accepter que j’étais différente, pas défectueuse. Je suis hyper motivée dans mon art, dédiée et déterminée. Je suis une perfectionniste qui continuera là où les autres abandonneront, j’ai un désir et un goût insatiables pour gagner en connaissances, ce qui peut-être un bonne chose ou un inconvénient, lol

Quand tu regardes en arrière, penses-tu que ta vie est un succès et es-tu fière de toi ?

Oui je suis fière de moi maintenant. Je peux voir que je suis bien plus forte et intelligente que ce que je pensais ou que les autres pensaient que j’étais. J’ai développé des forces, talents et dons que personne n’a. J’ai jeté les vieilles hypothèses et opinions des autres avec lesquelles j’ai grandit et qui me retenaient. J’ai quelque chose d’unique à donner au monde et j’ai plus de confiance en moi et d’assurance que je n’ai jamais eu. Oui je suis fière de moi et je pense que j’ai réussi.

Et une dernière question : si tu avais un conseil à donner à une soeur, un frère ou aux parents d’un autiste, que leur dirais-tu ?

Tous le monde est différent, avec une histoire et un parcours différent. Je ne peux parler que de ce qui m’a aidé. Pour les parents et frères et soeurs d’une personne autiste : l’informer de manière positive de son autisme et l’encourager à rechercher des groupes de soutien également. Les connaissances pratiques, les actes, la construction de compétences… tout ce qui est expliqué par Tony Attwood est formidable. Il y a un groupe de soutien super qui s’appelle Autism Hangout pour les adultes et les adolescents – géré par Craig Frailin Evans, un parent autiste.

Renforcez sa confiance, mais ne sur-compensez pas en lui racontant qu’elle est d’avantage « spéciale » c’est stupide. Cette personne est juste comme tout le monde. Tout le monde a des challenges, ils sont juste différents.

Faites-la suivre des cours d’auto-défense tôt, car cela permet de développer une meilleure coordination et apprend le respect mutuel de manière ritualisée, ainsi qu’un sentiment d’appartenance à un groupe et vous savez, les tyrans vont venir alors il est bon de savoir comment se défendre toute seule. J’ai fait de l’Aikido, c’est basé sur l’apprentissage de mouvements circulaires et répétitifs et on dit qu’il a un grand succès auprès des enfants autistes pour être le seul art martial qui soit non-agressif et non-compétitif. Je m’en suis moi-même servi pour repousser un agresseur.

Laissez-la poursuivre sa passion, souvent appelée « intérêt spécial », mot idiot, je préfère « passion ». Elle en en fera carrière un jour, une carrière dans laquelle elle surpassera les autres. Faites-la intégrer des groupes avec d’autres qui ont le même intérêt ou passion, car c’est là qu’elle trouvera l’acceptation de ce qu’elle est, des compagnons, le sens de son propre but et son estime de soi, c’est là qu’elle trouvera le travail de sa vie, ce qui la rendra heureuse.

Stephanie merci beaucoup, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans le temps, d’être remonté loin, quand on ne parlait pas d’autisme, et je réalise le chemin que tu as parcouru… Merci pour tes précieux conseils, ils valent de l’or à mes yeux.

Retrouvez Stephanie sur :

The pic is of me working on my current largest painting and a pic of painting that is still work in progress, I did not get it finished as I have been away two months studying old master painting techniques in Vienna and Italy
The pic is of me working on my current largest painting and a pic of painting that is still work in progress, I did not get it finished as I have been away two months studying old master painting techniques in Vienna and Italy

A présent voici la version originale de l’interview en anglais.

First, can you introduce yourself in a few words ? 

My name is Stephanie Tihanyi, I am 54 years old, I work as a freelance visual artist and I have Aspergers.

When and how did you notice that you were different ?

I noticed I was different from other children very early around age 6-7 in primary school. I noticed other children grouped and played together, held by some mysterious way, code or behavior. I was taught to be a polite child, but I was often excluded from other children’s games. I remember in the school yard, the teacher trying to get the other children to let me play with them but still they ran away after she left. I remember the teachers saying « why don’t they want to play with you, what are you doing? ». I blamed myself and in my shame, hid on the stairwells during break-times to avoid further public rejection or suspicion. To feel safe, I learnt to blend in and be invisible.

Did you have a special treatment to help you ?

No. Back then there was no treatment, no screening, it was unknown and many believed did not exist in females. We were just quiet girls, or imaginative girls, who live in a world of their own, a dreamy kid.

Did you receive any support from your family ?

No. My family life was very unsettled, there was 4 of us children, my father was often absent with other women, my mother struggled to cope with my two baby brothers, my older sister and me. We constantly moved houses, changing schools many times. I was labeled the dreamer, a very imaginative child or air-head. Something was different about me but nobody knew what. My father’s opinion was that any mental health issues were due to a persons inherent moral weakness or some bad genes. I think it was just ignored. I had a cousin who was autistic and it was talked of as something shameful or to be pitied.

It seems that you have a very rich and artistic life, can you tell us if becoming a painter helped you to grow and feel better ?

Yes, art saved my life. It gave me an outlet to express my feelings, even feelings I could not understand or communicate. It was a defense against loneliness and eventually my self- taught artistic skills began impressed others giving me a sense of redemption, when I felt deficient in other ways. It was like, everybody may think I was odd and stupid ( I failed my school 11-plus and was labeled « below average abilities ») but boy, could I paint like no one else!. This is probably what drove me to be a perfectionist.

How autism affects your day to day life ( positively or negatively) ?

Well today at 54, I have a lifetime of gaining skills to help me. I still have the same challenges but have learnt to use my intellect and memory to work around them. I did not always fare so good, in my life I suffered many bouts of severe depression, chronic anxiety, unemployment and loneliness. I always felt something essentially was wrong with me, I just couldn’t fix. I couldn’t be like other people. It wasn’t until I was late-diagnosed it all came clear and the revelation has been empowering and bought me self acceptance that I am different, not defective. I am highly motivated in my art, very dedicated and determined. I am a perfectionist who will keep going where others give up, I have an insatiable desire and enjoyment for gaining knowledge, this can be a blessing and a curse, lol

When you look back, do you think your life is successful and you are proud of yourself ?

Yes, I am proud of myself now. I can see I am a lot stronger and smarter than I thought I was or others thought I was. I have developed strengths, talents and gifts no one else has. I have thrown away the old assumptions and opinions of others I grew up with that held me back. I have something unique to give the world and I have more self-confidence and self assurance than I ever did. Yes I am proud of myself and think I am successful.

And a last question : if you had an advice to give for sisters, brothers or parents of an autistic person, what would you tell him/her?

Everyone is different, with a different background and story. I can only speak on what helped me. To parents and siblings of an autistic person: Inform them positively about their autism and encourage them to research appropriate support groups also. Practical knowledge, facts, skills- building etc.. Anything by Tony Attwood is great. There is a great support group called ‘Autism Hangout’  http://www.autismhangout.com/for teens and adults- run buy an autism parent Craig Frailin Evans.

Build confidence, but don’t over-compensate by telling them they are more special, that’s silly. They are just like everyone else. Everyone has challenges, theirs are just different. Get them into a self defense class early, it builds body co-ordination, shows mutual co-operation and respect in a ritualized way, a sense of belonging to a group and you know the bullies are going to come, so its good to learn how to stand up for yourself. I trained in Aikido, its based on learning repetitive circular and spinning movements and is noted to be highly successful with autistic children as its the only martial art that is non- aggressive and non-competitive. I myself have used it to fend off a bully. Let them pursue their passion, often called ‘special interest’, silly word, I prefer ‘a passion’. It will make them a career one day, one they will excel over others at. Get them into groups with others who hold the same passionate interest as them, this is where they will find acceptance for who they are, companions and a sense of self worth and purpose, this is where they will find their life work, that will make them happy.

Stephanie thank you very much, i feel like I have just time travelled, when no one talked about autism, and I realize how far you have come… Thanks a lot for your valuable advices, they worth gold for me.

4 réflexions sur “ Interview : Stephanie Tihanyi, 54 ans, peintre et Asperger ”

  • 15/08/2014 à 15:07
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    C’est très touchant et comme si elle racontait ma vie. Bravo à elle et merci pour avoir permis de lire son témoignage.

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  • 15/08/2014 à 21:43
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    Quelle merveilleuse idée cette interview de mon amie Stephy, merci de lui avoir prêté attention, elle est la preuve que les autistes eux aussi peuvent avoir du succès indépendamment de leurs circonstances. Témoignage très touchant et cela en vaut vraiment la peine de visiter son site; son art est absolument surprenant, ses toiles m’en ont coupé le souffle par la densité des détails, ses yeux voient le moindre petit détail qu’elle reproduit ensuite sur ses toiles et on se pose parfois la question si on voit une peinture ou un objet réel. Une grande artiste et une amie sincère.

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    • 21/08/2014 à 09:16
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      Merci Myriam de m’avoir parlé de Stephanie. Je suis sincèrement heureuse d’avoir eu la chance de l’interviewer. Je lui ai suggéré d’écrire une biographie, je suis certaine qu’elle aurait tant à nous apporter !

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  • 16/08/2014 à 01:13
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    Bonsoir Stephanie !
    Je suis le pere d’un garcon autiste de 14 ans.
    J’habite Saint Martin et souhaiterai vous rencontrer.
    Dans l’attente de vous rencontrez, passez une bonne soiree.

    Pierre 0690 22 84 90

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