Interview : Lucila Guerrero, artiste, autiste et maman !

Lucila Guerrero

Mon nom est Lucila Guerrero. Je suis artiste en art visuel numérique, autiste asperger et mère de Luka, mon enfant asperger de 9 ans. D’origine péruvienne, j’habite à Montréal depuis 12 ans. Je suis cofondatrice de Aut’Créatifs un mouvement de personnes autistes pour la reconnaissance positive de l’autisme.

Lucila, tu as créé une jolie famille, tu as une belle situation, est-ce que l’autisme a été un frein pour toi dans ta vie ?

Depuis mon adolescence, la période la plus difficile de ma vie, je me suis questionnée à propos de mes particularités qui me faisaient sentir souvent «l’exception à la règle». Avant de trouver la personne avec qui je me suis mariée, ça a été complexe, j’ai même vécu de la violence et des harcèlements.
Le jeu qu’on doit jouer avant de se mettre en couple a été toujours un mystère pour moi parce qu’il y a beaucoup de non-dit. Divorcés depuis 7 ans, mon ex-mari et moi, on reste des amis malgré nos différences.
Par rapport au travail, je dirais que ma pensée structurée m’a permis de devenir une très bonne informaticienne, reconnue et appréciée dans le milieu professionnel. À présent, je suis artiste professionnelle, j’ai voulu jumeler mes deux passions. Dans mes œuvres il y a beaucoup de réflexion à propos de la diversité humaine, on peut aussi y percevoir mon regard en détail.

Quand avec ton conjoint, vous avez souhaité avoir un enfant, avais-tu une appréhension qu’il soit autiste ?

J’ai vécu une grande partie de ma vie sans savoir que je suis autiste. Je l’ai su en 2010, après ma rentrée dans la quarantaine. Donc, à l’époque, loin de moi l’idée d’un enfant autiste.
Loin de moi aussi l’idée de maternité parce que j’étais très consacrée à mon travail et une vie de couple qui m’amenait une vie sociale que j’aimais bien.
Pourtant quand je suis tombée enceinte, un énorme sens de la responsabilité m’a fait mettre toutes mes activités de coté pour me préparer. Je le voyais comme une tâche que la vie me confiait. Mon instinct maternel a commencé à évoluer quand j’ai ressenti mon bébé bouger dans mon ventre. Je me suis transformée.

Peux-tu nous parler de Luka ? Tu lui a consacré un livre, que représente ce moment de rédaction et de photographie pour toi?

Mon intérêt pour la photographie a émergé lors de ma grossesse, j’ai appris de façon empirique à trouver ma propre façon d’expression. Luka était un petit enfant qui se développait bien… plus ou moins.
Les différences que je remarquais par rapport aux autres enfants, je les voyais comme des traits de son caractère ou comme des ressemblances à ma personnalité. Dans mon livre « Lundi, je vais être Luka », publié par Bayard Canada en 2013, je raconte en photographies et en texte, comment j’ai découvert qu’on était autiste.
Il y a eu un fait marquant : vers l’âge de 2 ans et demi, Luka refusait son prénom, il nous faisait l’appeler « Train-bleu ». Cette histoire a duré presque deux ans et elle s’est déroulé en parallèle avec les démarches pour l’évaluation. J’ai décidé de la partager à fin de proposer une réflexion au sujet de notre droit à agir selon notre propre critère et intuition.

 Comment vas Luka aujourd’hui ?

Luka fréquente une classe régulière. On a du faire le changement parce que la classe spécialisée n’était pas bien adapté à ses besoins. Je dois le soutenir, je m’assois avec lui à chaque jours pour les devoirs et expliquer les leçons d’une autre façon quand il le trouve compliqué. Il fait du piano et de la guitare et il aime créer des animations vidéo.
Je l’encourage dans chacun de ses intérêts parce que je sais combien c’est important pour l’estime de soi. Côté social, il faut aussi le soutenir pour expliquer toutes les nouvelles situations, des fois il a de la peine à cause de malentendus.
Il a une meilleure amie et quelques amis qu’il voit de temps en temps. Il est toujours hypersensible au toucher bien que ça s’est amélioré en grandissant.

Est-ce que tu penses que c’est plus facile pour toi de comprendre Luka, de pouvoir l’élever correctement et d’anticiper ses besoins par rapport à une maman typique comme moi?

Avant de savoir qu’on était autistes, je comprenais de façon intuitive mon fils. Je comprenais ses pleurs, ses demandes, son hypersensibilité, son besoin de rituels, etc. J’ai du entendre plusieurs commentaires négatifs à cause de ça. Comme beaucoup de mamans d’enfants autistes.
Mais j’ai décidé de me laisser guider pour lui et mon intérieur. Actuellement c’est encore plus facile, j’ai pu mettre comme référence ma propre expérience de vie et mon propre ressenti. Je travaille avec lui comme j’aurais voulu qu’on m’explique : zéro punitions, encouragements, explications avec des dessins, histoires ou vidéos. Dans notre cas, ça fonctionne bien, à la maison on vit bien, on rit souvent et on se parle beaucoup. On partage la photographie et le dessin numérique comme activité.

Est-ce que l’on peut dire que ton diagnostic à modifié ta vie ?

Le fait de savoir officiellement que je suis autiste a été le début d’une chemin d’évolution positive. J’ai eu le temps de m’analyser, de me connaître et de m’assumer avec ma nature sans me sentir coupable d’être différente.

Pour finir, si tu avais un conseil à donner à un jeune autiste, que tu lui dirais-tu?

Je lui dirais la même chose que je dis à Luka : « Fais toi confiance, tu es merveilleux, t’as des qualités. Ne te compares pas aux autres, sois fier de ton esprit original et de tes réussites même si tu les trouves petites. Si tu te trompes c’est pas grave, essaye à nouveau et apprend. »

Lucila, merci infiniment de ce témoignage qui m’a vraiment touchée. Il y a dans ton discours une chose qui me plait beaucoup, quand tu dis que tu comprenais ton fils par intuition, avant votre diagnostic. Tu dis : « …j’ai décidé de me laisser guider pour lui et mon intérieur. » Ca me plait beaucoup ! Je parle souvent du bon sens sur le blog, des fois il faut savoir recevoir ce que notre enfant nous montre, à sa façon, pour mieux le comprendre. Mais c’est peut-être moins évident pour les typiques.

Vous pouvez retrouver Lucila sur son site et sa page Facebook, et également sur le site de Aut’Créatifs .

 

3 réflexions sur “ Interview : Lucila Guerrero, artiste, autiste et maman ! ”

  • 27/06/2014 à 11:04
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    Très beau témoignage je me retrouve un peu lorsque vous dites une tâche que la vie vous confiait… C’est aussi comme ça que je vois les choses pour ma fille elle n’est pas encore diagnostiqué elle va vers un diagnostic TED elle évolue assez rapidement ils ont du mal a la diagnostiquer ça va prendre du temps mais moi sa maman je sais depuis longtemps qu’elle est particulière et je le prend comme une mission de la vie mon but est de l’aider le plus possible normal je suis sa maman et je ferai le maximum pour son bien être car j’essaye toujours de me mettre a sa place elle n’a pas choisi d’être différente en même temps je veux pas la changer qu’il reste en elle cette particularité car je partage des choses avec elle que je ne partage pas non plus avec mes 2 autres enfants qui sont comme tous les autres ou presque. L’amour pour son enfant est unique et c’est le grand amour de notre vie de femme pour ma part en tout cas c’est sûre, la vie qui n’est jamais facile elle a ses joies et ses peines a nous de trouver le chemin de la joie en s épanouissant de ce que l’on a trouver du réconfort ou il y en a et puis même pour ceux qui n’arrive pas a communiquer en persévérant on trouve un moyen car tous problèmes a une. Solution. Il faut puiser dans notre mental et voir que le positif .

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  • 19/07/2014 à 00:29
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    Magnifique témoignage à son enfant et à la reconnaissance de soi. Quel cadeau de la vie que d’apprécier le cadeau de la différence. Mon garçon, mon aspie, si différent et tellement ingénieux, une personne qui gagne à être connu. Je ne suis pas aspie, je regrette tellement de ne l’avoir pas su plus tôt. Aujourd’hui, il a 16 ans, il est fascinant, j’aimerais pouvoir être à la hauteur de ses connaissances et potentialités pour pouvoir répondre à l’exigence de ses connaissances. Il est fasciné par l’informatique, la physique quantique et les mathématiques. Mais ensemble, on essaye de se comprendre, parfois il me demande comment les autres pensent et reste étonné des différences. Il ne les comprends pas mais reconnait vouloir accepter que c’est un fait qui ne rentre pas dans ses conceptions, et l’accepte comme tel. Il sait que nous l’aimons sans savoir ce que ça veut dire, mais c’est important pour lui de savoir qu’il a un lien à nous. Il aimerait pouvoir échanger avec quelqu’un qui parle le même langage que lui, pointu dans l’analyse logique. Il se sent seul avec lui et aime être seul car il peut vraiment se concentrer sur ses apprentissages intellectuelles. Ce qu’on comprend, c’est qu’il nous surprend toujours au-delà de nos attentes. On ne comprend comment il y est arrivé, il a ses trajectoires et il y arrive aussi bien que les autres. Il est une personne unique, un être pur et je lui souhaite de vivre ce qu’il se veut pour lui. Merci à lui d’être ce qu’il est, un enfant, notre enfant.

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